Le Syndrome Du Collectionneur une nouvelle de Cedric Citharel


Le Syndrome Du Collectionneur

par

CEDRIC CITHAREL

Hector avait ouvert sans la moindre hésitation. Ça faisait déjà plusieurs heures qu’il attendait la visite des policiers. La veille, il s’était rendu au commissariat et on l’avait prévenu que des agents allaient passer chez lui. Il était juste un peu déçu d’avoir affaire à deux fonctionnaires en uniforme. Il aurait préféré voir des enquêteurs en costume, comme dans les séries américaines.

« Vous avez déclaré être en possession d’un enregistrement en lien avec des activités terroristes, lui rappela celui qui semblait être le chef. Pouvons-nous l’écouter ? »

Hector acquiesça. Il demanda aux deux hommes de le suivre jusqu’à un petit studio aménagé dans sa cave. Il alluma la lumière, et annonça fièrement.

« C’est ici que je garde ma collection, et c’est ici qu’il y a l’enregistrement dont j’ai parlé hier à vos collègues.

– Votre collection ?

– Oui monsieur l’agent. Certains collectionnent les timbres, d’autres les boîtes de camembert ; moi ce sont les bruits.

– Les bruits ?

– C’est cela même. Toute la journée je porte sur moi un petit enregistreur numérique. Chaque soir, j’isole et je trie tous les bruits que j’ai ramassés pendant la journée. »

Les agents se sont regardés, mi-intéressés mi-amusés. Ils avaient visiblement affaire à un farfelu.

« Vous pouvez nous expliquer tout ça plus en détail ? »

Le policier à l’origine de cette demande était curieux de voir comment Hector s’y prenait, il comptait aussi vérifier jusqu’à quel point ce témoin providentiel pouvait être pris au sérieux.

« C’est facile. Regardez. »

Hector saisit un minidisque qui traînait sur son bureau et l’inséra dans l’unité centrale de son ordinateur.

« Là, c’est un enregistrement brut. Je le passe en accéléré – un fond sonore se déroula à toute vitesse, une petite mélodie très aiguë laissait supposer que la scène avait été enregistrée dans un centre commercial – et dès qu’il y a un bruit incongru… »

Hector ne termina pas sa phrase. Il laissa tourner le disque jusqu’à ce qu’un cri strident résonne dans la pièce.

« … je le réécoute en vitesse normale. Je l’isole. Puis, je le classe. Dans ce cas, nous avons affaire à un cri d’enfant. »

Sous le regard médusé des fonctionnaires, Hector sauvegarda la partie de l’enregistrement qui l’intéressait et la fit glisser dans une arborescence qui contenait une ramification sobrement intitulée « cris d’enfants ».

« Et vous stockez tous ces bruits sur votre ordinateur ? Ça doit prendre de la place sur votre disque dur, non ?

– Pas tant que ça. Je fais le tri. Au final, peu de sons méritent de figurer dans ma collection. »

Cette dernière remarque laissa les policiers perplexes. Hector décida de leur fournir quelques explications supplémentaires.

« Je me base sur deux critères pour déterminer si un son doit être, ou non, considéré comme un bruit, et doit figurer, ou pas, dans ma collection. »

Il fit une courte pause, et se redressa fièrement. Peu de gens, jusqu’à présent, s’étaient intéressés à la façon dont il sélectionnait ses enregistrements.

« Le premier critère, c’est l’absence de destinataire. Un bon bruit ne doit s’adresser à personne en particulier. Un enfant qui crie parce qu’il s’est fait mal et qu’il veut que sa mère le console ne fait pas de bruit, il appelle au secours. Un chien qui aboie ne fait du bruit que si l’on ignore ce qui le pousse à aboyer. Vous me suivez ? »

Les deux policiers ne suivaient pas vraiment, mais ils restèrent silencieux afin de ne pas contrarier ni interrompre leur hôte.

« Le deuxième critère que je prends en compte, ajouta Hector, c’est l’origine des sons. Un bon bruit a toujours une origine douteuse. Pour reprendre l’exemple de ce cri d’enfant, je n’aurais pas pu l’ajouter à ma collection si en l’écoutant je m’étais remémoré le visage du bambin qui l’avait poussé, encore moins si je l’avais connu personnellement. »

Un agent bredouilla un « Je comprends » discret, tandis que son collègue murmurait : « C’est très intéressant ».

Après quelques secondes de silence, le premier, celui qui avait déclaré avoir compris, décida de revenir à l’essentiel. On les avait envoyés ici pour vérifier quelque chose de précis.

« Pourriez-vous nous faire écouter l’enregistrement dont vous avez parlé hier au commissariat ? celui qui mentionne un complot terroriste ?

– Bien sûr. Vous êtes là pour ça après tout. »

Hector ouvrit un fichier sur son ordinateur.

« Je ne l’ai pas encore classé. J’ai fait cet enregistrement hier dans le métro, sur la ligne quatre. »

Les policiers tendirent l’oreille. Hector leur fit écouter une conversation entre deux jeunes filles. La première racontait à une amie qu’elle avait une tante qui avait vu un portefeuille tomber de la poche d’un homme. Honnête, elle lui avait signalé. Après l’avoir ramassé et avoir chaleureusement remercié sa bienfaitrice, l’homme avait ajouté : « Si je peux vous donner un conseil, évitez de vous retrouver dans cette station le quinze de ce mois. »

« Vous comprenez, quand j’ai entendu ça, et vu les risques d’attentats qui pèsent en ce moment sur notre belle capitale, j’ai immédiatement pensé à prévenir la police. »

Les deux agents restèrent dubitatifs.

« Vous pourriez reconnaître les jeunes filles qu’on vient d’entendre ?

– Non. Sur le coup, je n’y ai même pas prêté attention. C’est en réécoutant le minidisque que j’ai compris que ça pouvait être important. »

L’un des policiers prit un air gêné.

« Je suis désolé, mais je crains que cet enregistrement ne nous soit d’aucune utilité. »

À son grand étonnement, Hector afficha un sourire radieux. Puis, sur l’écran de son ordinateur, il fit glisser le fichier dans un répertoire portant le nom évocateur de « bruits qui courent ».

« Je n’aurais pas pu le garder dans ma collection si vous m’aviez dit le contraire. » annonça-t-il triomphalement.

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