Jeux D'anges Heureux une nouvelle de v le bonnec


Jeux D'anges Heureux

par

V LE BONNEC

Jeu d’anges heureux

Esther marchait seule dans l’hiver naissant. La nuit tombait plus tôt maintenant qu’on avait encore changé d’heure. C’était temporaire nous avait-on dit à l’époque. Bien sûr ! Pour faire des économies d’énergie. On y croit ! Bref, le noir enveloppait les silhouettes. Il faisait froid pourtant la belle jeune femme ne portait qu’une mini-jupe fendue très haut et une paire de bas résille. Pour compléter le tout, un chemisier blanc et un mince chandail kaki. Elle arborait également un élégant béret qui lui donnait l’allure d’un gavroche projeté hors de son temps.
Malgré le vent qui glaçait ses joues et s’insinuait dans les mailles de ses bas, elle ne semblait pas souffrir du froid. Elle marchait vite, s’essoufflait, elle avait presque chaud. Il faut dire que le quartier aussi était chaud. Très chaud même. Mal famé quasiment. Aussi pressait-elle le pas pour rentrer chez elle. Elle n’aimait pas se sentir en danger dans ces ruelles sombres et peu amènes. Peu de monde dehors, pas de voiture qui passait. Un silence inquiétant. Pas de vie, ici. Tout était caché, sournois.
Plus que dix minutes de marche et elle se retrouverait devant son immeuble.
Le stress montait. La peur aussi.
Un homme, au fond de la rue, marchait dans sa direction. Une silhouette dégingandée. Une chevelure hirsute. Esther serra plus fort encore la petite matraque qu’elle gardait au fond de son sac, cadeau d’un de ses ex.
Tous deux marchaient à la même allure. Ils allaient se croiser, se rencontrer. La jeune femme respira un gros coup et accéléra. Plus vite elle aurait croisé le type, plus tôt elle serait rassurée. Encore une dizaine de mètres. L’homme ralentit la marche, fouilla ses poches, en sortit un paquet de cigarettes. Il s’arrêta, plongeant à nouveau ses mains dans les poches de son blouson, à la recherche d’un briquet probablement.
Encore cinq mètres.
Esther fit semblant de ne pas le voir. Surtout ne pas montrer l’angoisse qui la rongeait. Ne pas lui donner autant d’importance. Après tout, ce n’était qu’un badaud, comme elle. Il avait parfaitement le droit d’emprunter cette rue, comme elle. Le droit aussi d’être seul, comme elle. C’est pas parce qu’un type seul se balade dans une ruelle chaude à la nuit tombante qu’il est dangereux ! Même s’il n’a pas une allure sympa. Peut-être, après tout qu’il l’est, sympa !
Deux mètres.
L’homme avait trouvé son zippo et allumait d’un geste sûr sa cigarette.
Elle passait à sa hauteur maintenant, sentait son regard insistant braqué sur elle. Il la dévisageait, la suivait du regard. Il s’était retourné, elle le sentait. Ne la lâchait plus du tout. Elle accéléra le pas une nouvelle fois. La distance entre eux deux s’accroissait. Il ne bougeait pas, continuait à fumer.
Ouf !
Pourtant son calvaire n’était pas encore terminé. Un autre homme déboucha dans la rue. Plus petit, il portait un imperméable et un chapeau. Des fers sous ses mocassins brillants trahissaient une démarche rapide et sûre. Il baissait la tête, observant le bout de ses pieds. Il ne semblait pas avoir repéré la jeune femme terrorisée qui s’avançait dans sa direction. Il la percuta de plein fouet et la regarda, étonné. Bredouilla quelques excuses. Esther avait été un peu déséquilibrée. Il la prit par le bras. L’aida à se remettre sur ses jambes.
Pendant ce temps, le fumeur s’était rapproché. Il avait vu toute la scène et intervint en faveur de la jeune femme :
- Alors, mec ! On bouscule les jeunes dames.
- Je, j’ai…pas fait exprès, pardon, mademoiselle, bredouilla t-il dans un mauvais français.
- C’est rien, dit Esther, ça va.
Mais déjà le fumeur l’avait prise par le bras, l’empêchant de partir.
- Mais non, c’est pas rien. Le monsieur se comporte comme un malotru. Il pense peut-être qu’on peut renverser une femme de la sorte, et finir comme ça ! Hein ? fit-il en lui jetant un regard noir.
- Non, je ne crois pas, fit l’autre qui avait soudain perdu tout accent. Il faut qu’elle se fasse payer, la demoiselle.
- Oui, oui, oui, il le faut.
Esther ne comprenait plus rien à la situation. Le fumeur serrait de plus en plus fort son bras pendant que mocassin ciré la dévisageait. Elle chercha du secours dans ses yeux. Ils avaient totalement changé. Ils reflétaient maintenant le sadisme et l’envie. Dégoûtants, ils brillaient la haine. La jeune femme y chercha vainement de l’aide. Mais l’homme placide et préoccupé qu’il était avant leur brutale rencontre s’était transformé en une sorte de loup assoiffé.
Elle sentit son deuxième bras s’écraser sous une nouvelle pression. Le fumeur venait de la bloquer. Elle ne pouvait plus bouger maintenant. A la merci des deux hommes. Le costaud la ceinturait, l’autre, le regard lubrique commençait à lui lécher le visage. Dégoulinant une salive pestilentielle sur son visage fin. Elle eut des hauts le cœur. Mais elle savait que son cauchemar débutait :
- On y va, chérie ? lui demanda t’il.
Puis s’en attendre de réponse, il interpella son complice pour la première fois :
- Tiens la bien, Jeannot !
- Pas de souci, mec.
Esther ne pensait plus, maintenant. Elle ferma les yeux. Elle savait que toute résistance ne pourrait que lui être préjudiciable. Amorphe, faire la morte. Cela les dégoûterait peut-être et les empêcherait d’aller au bout.
Elle sentit sa jupe remonter très haut, le froid s’immiscer dans son entre-jambe, la bave sur sa peau…elle sentit tout cela, n’essayât pas de se débattre. Le fumeur qui la retenait par derrière, encourageant son copain. L’autre, devant, lui écartant les cuisses, lui arrachant sa petite culotte, forçant le passage. Des vas et viens rythmés dans une infernale cadence. Le type qui gémit, elle qui râle, qui pleure. Il force, il s’excite. Elle souffre, elle subit les asseaux répétés de ce petit homme, ses coups de reins approximatifs mais dynamiques. Sa langue, son haleine, son souffle. Elle lui appartient complètement maintenant. Ça la dégoûte. Elle ferme les yeux, devine ce qu’il fait. Elle sait.
Elle ne sera plus jamais la même. Plus pareille. Elle a été touchée dans sa chair, dans son âme. C’est dur. Elle est blessée à tout jamais.
Quelques secondes interminables plus tard, elle sent l’engin quitter son corps. Elle se sent tout à coup plus légère. Moins pure aussi. Ce secret sera un peu lourd. L’asseau est terminé, l’homme s’est retiré, s’est adossé au mur, haletant. Il reprend son souffle. Le fumeur l’a lâchée d’un geste sec. Elle tombe à genoux sur l’asphalte sale de la ruelle sombre. Elle aussi elle halète. Elle ferme les yeux. Respire doucement. Se concentre. Elle n’ose pas bouger. Elle est là, devant ses bourreaux qui la regardent.
Sa petite culotte reflète outrageusement sa couleur blanche dans la nuit. Blanc, la couleur de la pureté à jamais perdue pour Esther. Elle pense à cela. N’ose relever la tête. Des larmes gouttent sur son visage marqué. Le maquillage coule à son tour sur ses joues roses. Farandole de couleurs, de sentiments.
Tout c’est passé vite, sans un bruit, sans une parole trop forte, sans cri non plus. C’est fini. Les deux hommes sont prêts à partir, la laissant là, seule, allongée par terre. Ils ne la regardent même plus. Elle n’est plus rien.
Elle n’a pas soufflé mot depuis le début. Pourtant, c’est elle qui parle maintenant. Elle relève la tête, sûre d’elle, glisse ses mains dans ses cheveux défaits et dit :
- Allez ! Bien joué, les gars !!! Au tour de Jeannot maintenant !
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