Une lecture de LEO LAMARCHE Joël va bientôt avoir douze ans et comprend parfaitement l’importance de l’événement : dans quelques jours, il aura fait un tour entier sur le cadran de la vie. C’est un enfant rêveur qui puise dans son imaginaire la force d’échapper à un quotidien morose. Il vit seul avec son père Samuel, sa mère a quitté le foyer, laissant derrière elle des questions sans réponse et un terrible sentiment d’abandon. De plus, rien ne se passe vraiment, dans cette bourgade de Suède, alors Joël se retranche dans une réalité transfigurée par son esprit fertile : “pour lui, l’imagination est quelque chose que l’on peut ouvrir et fermer à sa guise, comme un robinet.” Tout commence au moment où l’enfant, pressé, traverse la rue sans regarder et passe sous un bus. Et, lorsqu’il se relève sans une égratignure, on crie au miracle, ce qui le laisse franchement perplexe : désormais, Joël est un miraculé et, pour mériter ce statut, il doit accomplir une action d’envergure, une bonne action, afin de remercier – il ne sait pas bien qui ou quoi - de l’avoir épargné. Après bien des rélexions, Joël décide que la meilleure action à accomplir serait de trouver un amoureux pour Gertrude, la Femme Sans Nez, défigurée suite à une opération ratée. C’est également sa seule amie, un personnage fantasque, à la fois joyeux et désespéré. Mais ce projet rencontre des difficultés insurmontables : où trouver le prince charmant dans une ville minuscule dont les seules activités sont la messe, les après-dîner au bistrot et le bal du samedi soir ? Joël enquête pour trouver une “cible” convenable, tâtonne, s’embrouille, rédige des lettres d’amour, donne des rendez-vous secrets… jusqu’à ce que la situation lui échappe et que le pire soit évité de justesse. Décidément, même lorsqu’on va avoir douze ans et qu’on sait déjà de débrouiller “comme un homme”, le monde des adultes s’avère bien trop complexe. On connaissait jusqu’ici d’Henning Mankell ses polars sombres et prenants et la célèbre figure de Wallander. L’atmosphère est tout autre dans ce roman jeunesse qui n’est pas un polar - bien que le jeune enquêteur s’évertue à cerner le monde des “grands” sans y parvenir vraiment. “Les ombres grandissent au crépuscule” est un roman intime, au style savoureux qui sonne juste. Avec un ton décalé et un humour espiègle, l’auteur nous fait pénètrer dans l’univers d’un pré-adolescent qui ne connaît rien de la vie mais n’est jamais à cours d’idées pour retourner les situations, même les plus anodines, contre lui. Entouré par une galerie de personnages excentriques, le jeune intrépide nous découvre son monde intérieur, tendre et cocasse, et l’auteur, par son intermédiaire, incite petits et grands à retrouver, le temps d’une lecture, leur âme d’enfant. Le second tome des aventures de Joël Gustavson paraîtra cet automne, et nous lui souhaitons une traduction soit aussi excellente que pour le premier.
Les ombres grandissent au crépuscule, de Henning Manlkell, éd. Du Seuil, 235 pages, 11, 90 euros. À partir de 11 ans et pour tous.
LEO LAMARCHE |
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