Une lecture de LEO LAMARCHEClara, Dix-sept ans, rédige un journal sur un simple cahier. C’est plutôt une longue lettre destiné à sa meilleure amie, Émilie, sa correspondante française. Enfermée depuis huit mois dans une clinique, Émilie tente de se reconstruire et sent qu’elle le fera à travers les mots. Des mots qui se cherchent et hésitent à affronter l’horreur au rythme de l’évolution de Clara, qui tente de retrouver ce qui reste d’elle-même. Et les informations, ainsi distillées au compte goutte, rendent le suspense particulièement prenant. Déjà, le souvenir du “temps d’avant”, il n’y a pas si longtemps, un temps où sa Norlande natale, qui ressemble fort à la Norvège, était un pays ouvert et altruiste. Clara ne se posait pas la question, en ce temps-là, elle vivait sa vie de jeune fille insouciante et, qui plus est, fille de la ministre des Affaires étrangères. Elle raconte, au fil de ses rencontres, sa prise de conscience de la montée de l’extrême droite dans cette contrée paisible et son désir de s’engager dans un mouvement de jeunes militants pour la paix et la tolérance. C’était avant, avant l’événement traumatique dont elle se fait porter toute la culpabilité. Toute la responsabilité. Un attentat qui a miné les fondements du pays et ébranlé les certitudes. Une tuerie au cours de laquelle Clara a perdu ses amis. Et, peu à peu, en se racontant à Émilie, elle acccepte l’idée d’être tombée dans un piège, d’avoir été l’instrument, à son corps défendant, d’un ignoble attentat terroriste. Elle accepte de parler de ce garçon qu’elle a aimé et par qui tout est arrivé, elle cherche à se décider de témoigner, à son procès, mais avant tout il lui faut comprendre comment l’horreur absolue a pu naître dans son pays de conte de fées. Ce monologue pudique, cette confession criante de vérité se lit comme un roman d’une grande noirceur, au coeur de préoccupations actuelles, histoire d’inciter les ados à réfléchir au fait qu’une nation pacifiste peut ignorer que la haine de l’autre a germé en elle, jusqu’à l’irréversible. Dans la veine de Hate List, Jérôme Leroy trace d’une plume sensible et juste l’itinéraire psychologique d’une victime vers l’acceptation et une certaine forme de libération. L’auteur transpose dans un pays de Scandinavie imaginaire la tragédie qui a eu lieu le 22 juillet 2011 sur l’île d’Utoya en Norvège. Le résultat est magistral – et bouleversant.
Norlande, de Jérôme Leroy, éd. Syros, Coll. Rat Noir, 160 pages, 14 euros. À partir de 13 ans et pour tous.
LEO LAMARCHE |
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