Une lecture de LEO LAMARCHE « Depuis que mon frère est mort, je ne suis plus comme avant. Comme si j’avais un membre en moins, alors que j’ai toujours mes deux bras et mes deux jambes. Et mes parents, pareils, on dirait qu’ils boitent. Pourtant, ils marchent droit, enfin, surtout ma mère. À croire qu’en perdant Gilbert, j’ai aussi perdu ce petit quelque chose qui fait qu’on se sent vivant, et content. » Nous sommes en 1943. Gilbert, le frère de Paul, a été envoyé travailler en Allemagne où il est mort d’épuisement. Son cadet se sent d’autant plus seul et impuissant que la famille a du mal à survivre. Le père a perdu son travail suite à l’incendie de la scierie et, rongé par le chagin, il s’est mis à boire. La mère fait des ménages, il y a les reroches, les disputes… La faute à qui ? Paul a sa propre réponse : c’est la faute de Dugain, le voisin, qui étale une aisance insolente en ces temps de privations et recourt au marché noir. Dugain qui « fricote » avec les occupants et qui ne peut qu’avoir donné le nom de Gilbert aux Allemands. « Dugain est un gros salopard. Tellement gros, tellement salopard que je voudrais l’écrire en lettres géantes sur le mur de sa baraque. En lettres de sang. De son sang. Le sang de la honte. » Dans ce petit village du Haut-Doubs, on a vite fait de juger les uns et les autres… et Paul a besoin d’un coupable pour expliquer la guerre, son quotidien intolérable et le malheur de sa famille. La nuit de l’anniversaire de son frère, l’adolescent, ivre de haine, fait irruption dans la maison de son voisin, bien décidé à lui faire payer (… quoi, au juste ?), à lui donner une bonne leçon, à lui apprendre à vivre. Mais ce qu’il découvre dans la chambre du « collabo » va remettre en question toutes ses certitudes et, finalement, donner un nouveau sens à son existence. Bravo à Agnès Laroche pour ce roman poignant, dans un style sobre et dense, criant de vérité. La voix de Paul, qui retrace, par petites touches, son parcours du combattant , est relayée au fil des chapitres par la reproduction de documents d’époques, décrets, affiches de propagande… Une réussite.
Tu vas payer, d’Agnès Laroche, éd. Rageot, coll. « Heure Noire »
LEO LAMARCHE |
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