Une lecture de LEO LAMARCHE Dire que Marion est une écorchée vive est un doux euphémisme. Marion a la rage, depuis que son père est parti pour le Brésil et leur a envoyé, au lieu des billets d’avion attendus pour le rejoindre, une demande de divorce. La famille s’est alors repliée sur elle-même et a tenu grâce à l’immense affection qui lie la mère et les deux enfants. Marion s’est enfoncée dans sa solitude et ses rêves, elle a peur des garçons, elle gère tant bien que mal ses rapports difficiles avec les autres qui la traitent d’”intello” car elle a des facilités à apprendre. Son seul havre de réconfort, c’est la musique, les cours au conservatoire et le petit carnet noir qui ne la quitte pas et renferme ses chansons, ses slams, ses poèmes, ses états d’âme… Et puis, il y a Enzo, le “beau gosse”, le “tombeur” du collège, qui la harcèle. Elle a beau l’envoyer promener, lui et sa bande de copains lui mènent la vie dure. La situation se dégrade lorsqu’elle soupçonne Enzo, au terme d’un échange musclé, de lui avoir volé son carnet, d’avoir violé son intimité. Lorsqu’elle le lui réclame, coup de théâtre, Enzo semble se transformer sous ses yeux ébahis : il lui dit apprécier tout ce qu’elle a écrit, il dit la comprendre, la charme de ses attentions et l’horizon s’éclaire un peu pour cette solitaire qui s’ouvre à l’espoir pour la première fois. Premier rendez-vous, dans un square, il l’embrasse et elle se laisse faire, tout à la première surprise de l’amour… sans savoir que la bande de copains filme la scène qui se retrouvera le soir même sur Youtube. Trahison, l’univers s’effondre à nouveau autour de Marion qui fait un malaise et s’ouvre le crâne. Sa blessure va lui permettre d’échapper quelque temps au collège, mais pas à la honte, celle de passer pour une fille facile, elle portant si farouche. Toute honte bue, sa rage éclate enfin, une rage dévastatrice. Sous la menace d’une arme factice qui paraît plus vraie que nature, elle oblige les garçons, après le cours de sport, de faire un footing “à poil” dans la cour du collège. Mais cette vengeance ne l’apaisera pas, elle lui laissera juste un goût d’amertume. D’ailleurs, ses si peu “innocentes” victimes décident d’appliquer la loi du talion en lui brisant les doigts pour qu’elle ne puisse plus jouer de la guitare et l’on frôle le drame. C’est précisément là que tout va changer, car, dans la fiction comme dans la vie, il y a parfois des dénouements heureux. Grâce à la musique et à des camarades que sa voix et ses textes ont touchés, sa solitude sera brisée, la jeune fille pourra sortir de sa prison-chrysalide et s’envoler vers la lumière… des projecteurs ! Ce superbe roman noir, très noir, n’est pas une histoire de plus sur l’inévitable crise d’adolescence. Dans une écriture sans concession, aussi sombre que drôle, Hubert Ben Kemoun nous donne à voir une fille attachante et rebelle, qui retourne sa hargne contre elle-même avant d’apprendre à l’extérioriser, avec plus ou moins de succès. Il nous parle également d’une famille unie et solidaire confrontée à l’abandon et à la solitude : une mère qui tente désespérément de trouver sur des sites de rencontres un nouveau père pour ses enfants, un petit frère Benjamin aussi adorable qu’attachant. Une intrigue qui, dans sa simplicité et son dénuement, touche et fait mouche si bien qu’une fois le livre refermé, le roman reste longtemps en tête…
La fille seule dans le vestiaire des garçons, d’Hubert Ben Kemoun, éd. Flammarion, 226 pages, 13 euros. À partir de 13 ans.
LEO LAMARCHE |
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