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DONALD WESTLAKE

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Le jeudi 11 Mai 2017

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Donald WESTLAKE




Une lecture de
CLAUDE LE NOCHER

CLAUDE LE NOCHER  

Né en 1936, le matelot de première classe Ordo Tupikos est en poste à New London, dans le Connecticut, à l’automne 1974. Il lui reste encore deux ans à tirer dans la Marine, avant de prendre sa retraite à quarante ans. Ses deux mariages, en 1958 et en 1960, ont été des échecs. Il est aujourd’hui le compagnon de Fran, une divorcée. Un jour, ses collègues repèrent dans un journal une photographie où figure Ordo. Elle date de sa première union, avec Estelle Anlic, originaire du Nebraska. Cette jeune fille se prétendait majeure, alors qu’elle n’avait que seize ans. Ce qu’Ordo ne pouvait soupçonner. La mère d’Estelle, une personne odieuse, intervint afin d’annuler leur mariage, et fit placer sa fille dans un foyer. Par la suite, Ordo n’eut plus jamais de nouvelle d’elle, se remaria, divorça.

Cette photo illustre un article consacré à l’actrice Dawn Devayne, retraçant sa carrière d’icône sexy du cinéma. Ordo l’a vue dans des films, mais n’a noté aucune ressemblance avec Estelle. Ce n’est pas uniquement qu’Estelle était brune tandis que Dawn est blonde. Dawn aurait-elle payé pour emprunter la biographie d’Estelle, afin de masquer son passé ? En seize ans, a-t-elle pu changer au point d’être méconnaissable ? Ayant obtenu une longue permission, Ordo passe par New York, où il revoit un film avec Dawn Devayne. Pas de point commun, ça se confirme. Pour en avoir le cœur net, Ordo prend l’avion jusqu’à Los Angeles. Bien qu’il ne connaisse rien à ces milieux, il se débrouille pour entrer en contact avec l’agent artistique de l’actrice, Byron Cartwright.

Dawn Devayne est absente en journée pour cause de tournage en extérieur, mais Byron Cartwright reçoit chaleureusement Ordo. Avec cordialité, l’agent l’appelle “Orry”, surnom que lui donnait Estelle et qui est encore utilisé par ses amis à lui. Il assure que l’actrice sera très heureuse de le revoir. D’ailleurs, elle invite Ordo à séjourner dès à présent dans sa maison de Bel Air, luxueuse propriété avec piscine. Sur place, le marin est pris en main par le domestique Wang, efficace régisseur de la maisonnée. Le soir, Dawn Devayne est de retour chez elle, accompagnée d’une bande d’amis évoluant dans le cinéma. Se laissant entraîner par le tourbillon de la vie de l’actrice, Ordo apprécie ces chaudes retrouvailles. Pourtant, Estelle n’a-t-elle pas définitivement disparu ?…

(Extrait) “Ce film avait été fait en 1967, donc neuf ans seulement après mon mariage avec Estelle, alors j’aurais dû pouvoir la reconnaître, mais vraiment elle n’était pas là. Je regardai cette femme sur l’écran, encore et encore et encore, et la seule personne qu’elle me rappelait c’était Dawn Devayne. Je veux dire, au temps où je ne savais pas qui elle était. Mais il n’y avait rien d’Estelle. Ni la voix, ni la démarche, ni le sourire, ni rien.

Mais sexy. J’ai vu ce que voulait dire l’auteur de l’article, parce que si on regardait Dawn Devayne on pensait immédiatement qu’elle serait fantastique au lit. Et puis on se disait qu’elle serait aussi fantastique autrement, pour parler ou faire un voyage, ou n’importe. Et puis on se rendait compte que comme elle était tellement fantastique en tout, elle ne pouvait choisir qu’un type fantastique en tout, donc pas vous, donc on l’idolâtrait automatiquement. Je veux dire, on la voulait sans penser une seconde qu’on pourrait jamais l’avoir…”

Beaucoup de gens ont connu cette expérience : retrouver quinze à vingt ans plus tard un ami ou un proche perdu de vue. Autrefois, on avait de fortes affinités. Si le temps s’est écoulé, on ne l’a jamais oublié. Chacun a mûri, évolué vers d’autres directions. On est conscient d’avoir changé, physiquement et mentalement. Parfois, l’un ou l’autre aura renié des pans entiers de son passé, tourné définitivement ces pages. Tout le monde n’accumule pas des images d’antan, n’encombre pas sa mémoire de souvenirs. Rien d’anormal, ainsi va la vie. On ne côtoie pas pour toujours les mêmes personnes, les mêmes milieux. Observer une nette distance envers hier, ça se conçoit.

Mais il y a aussi d’anciens proches qui, à tous points de vue, sont carrément aux antipodes de ce qu’ils furent. Tel le quelconque devenu remarquable, le tolérant devenu sectaire. La différence peut apparaître tranchée, voire brutale. Renouer est alors hasardeux, inutile, improbable, même si peuvent exister des exceptions. Voilà ce que nous raconte Donald Westlake dans ce roman court, non criminel. C’est l’histoire d’un type ordinaire, stable, pas compliqué. Il faut un sacré talent pour restituer cette simplicité de caractère. Il est plus facile de décrire un héros au passif chargé, tumultueux.

L’époque n’est pas choisie sans raison non plus. Écrite et publiée en 1986, au catalogue Rivages/noir depuis 1995, l’intrigue évoque la période 1958/1974. Tant de changements s’opérèrent dans la société pendant ces années-là. Concernant les actrices de cinéma, on était passé des grandes séductrices au charme vénéneux, à des jolies femmes sexy plus affriolantes mais moins distinguées. Rééditer “Ordo” est une excellente initiative. Car lire ou relire Donald Westlake, le découvrir peut-être, c’est l’assurance de ne jamais être déçu.

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