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BOB VAN LAERHOVEN |
La Vengeance De BaudelaireAux éditions MA EDITIONSVisitez leur site |
1318Lectures depuisLe vendredi 7 Juin 2013
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Une lecture de |
La guerre de 1870 s'avère catastrophique pour l'armée française, et va provoquer bientôt la fin du Second Empire. À Paris, alors qu'arrive l'automne de cette année-là, on espère encore résister à la pression des Prussiens. C'est dans ce contexte qu'une série de crimes se produit dans la capitale. L'enquête est menée par le commissaire Paul Lefèvre, avec son collègue et ami l'inspecteur Bernard Bouveroux. Ces deux quinquagénaires furent naguère officiers en Algérie. Ils y vécurent de troublantes aventures, les ayant fortement marqués. S'ils ont tous deux rejoint la police, leurs vies privées et leurs caractères sont différents. Veuf, s'enivrant parfois, habitant un modeste logis, l'inspecteur Bouveroux collectionne les documents rares, en érudit. Paul Lefèvre, lui, fréquente assidûment les maisons closes de Paris. Tel un esthète de la beauté féminine, mais autant par goût sexuel. Il a une amante régulière, Claire de la Lune, jeune prostituée issue d'un de ces bordels. En ces temps si perturbés, les deux policiers restent de fidèles serviteurs de la loi et de l'Empire. C'est dans une maison close qu'est commis le premier meurtre. Un poète possédant une petite notoriété vient d'y mourir, empoisonné par ce qui peut faire penser à d'exotiques tatouages indochinois, voire guyanais. On pourrait suspecter une trop jolie religieuse, passée peu avant en ces lieux de débauche. Près du corps, se trouve l'extrait autographe d'un poème de Charles Baudelaire, décédé juste trois années plus tôt, à quarante-six ans. Le commissaire Lefèvre eût l'occasion de rencontrer Baudelaire, brièvement emprisonné pour la publication de son ouvrage majeur, Les Fleurs du Mal. Ce personnage impressionna le policier. La deuxième victime, le littérateur Granier de Cassagnac, est découverte dans les catacombes. Mutilation du corps, mise en scène sanglante, le coupable a fait preuve d'une grande cruauté. Le nouvel extrait de poème découvert cette fois semble encore de la main de Baudelaire. Visant d'obscurs plumitifs, ces deux crimes ressemblent fort à une vengeance. Pourtant, nul doute que le poète syphilitique soit décédé. Le cadavre de la troisième victime gît, au cimetière Montparnasse, sur la tombe de Charles Baudelaire. Il s'agit du juge Pinard, qui le condamna jadis si sévèrement. Les indices ne sont guère parlants pour le duo d'enquêteurs. Paul Lefèvre se rend par le train jusqu'à Honfleur, où réside la mère de Baudelaire. Femme âgée tourmentée, Caroline Archenbaut-Defayis ne livrera au policier aucun de ses douloureux secrets familiaux. Dans le train, Lefèvre a croisé des compagnons de voyages, aux suggestions intéressantes quant à cette série de crimes. Tandis qu'une quatrième victime est poignardée avec un couteau maure, Lefèvre rend visite à Camille Poupeye, qu'il a connu lors du voyage en train. Ce nabot belge est un personnage insolite, mais surtout dangereux, qui va piéger le commissaire. Si Bouveroux préfère se consacrer à ses livres et à la mémoire de sa défunte Marthe, Lefèvre cherche à comprendre malgré tout cette nébuleuse affaire, quoi qu'il lui en coûte... Il ne faudrait pas voir dans ce polar historique un simple “roman d'enquête”. Cette intrigue est beaucoup plus riche et originale. D'abord, parce qu'elle est dominée par l'image de Baudelaire. Qui, ne l'oublions pas, fut le traducteur d'Edgar Allan Poe, un des initiateurs de la littérature policière. Si la biographie de l'immense poète est établie, on peut aisément penser qu'il restera toujours des zones d'ombres sur ce que fut sa vie. C'est évidemment sur cette idée que joue ici l'auteur. Autre élément bienvenu, le contexte de 1870. Dans un premier temps, il n'est que suggéré. Si Paris est menacé par les Prussiens, les batailles (perdues par l'Empereur) se passent effectivement ailleurs. Pourtant, l'insurrection des Communards n'est pas loin dans cette histoire. Il est bon de préciser que l'auteur n'a sans doute pas souhaité nous présenter des héros absolument sympathiques, ni attachants. Les deux policiers sont d'anciens coloniaux, qui gardent présents des souvenirs de leur époque militaire. Le commissaire s'avoue assez hostile à la modernité de son temps, aux inventions qu'il juge extravagantes. Son adjoint et lui ne sont pas indifférents à la poésie, c'est vrai, mais apparaissent plus pragmatiques dans leurs fonctions. Même si l'enquête de Lefèvre doit finir de façon plutôt erratique, bien qu'ayant découvert la vérité. Cette distance envers les enquêteurs participe à l'ambiance mystérieuse du récit. Un singulier suspense d'une tonalité très réussie, à découvrir. |