Galen, vingt-deux ans, habite avec sa mère une « folie » bourgeoise tarabiscotée dessinée cinquante auparavant par un grand-père bâtisseur de pont, mort à la tache. La grand-mère, vieillesse ou dommages irréparables causés par les coups de son époux toute sa vie, est reléguée en maison de retraite. Il y aussi la tante, Helen, et sa fille Jennifer, cousine nymphomane qui maltraite Galen, lui faisant subir les tortures du désir sexuel, lui puceau maladivement réfugié dans les jupons de sa mère ou caché dans l’immense propriété : des hectares de noyer ceinturant le presque château. Les toits s’affaissent, les planchers ploient, l’argent fait défaut, interdisant à Galen d’envisager l’université. Il fait chaud. Très chaud. Galen tente d’échapper à son existence étriquée au travers d’une vie spirituelle centrée sur l’étude d’un bouddhisme intégriste, refusant d’abord la viande, puis toute nourriture, cherchant dans l’ascétisme à se libérer des pressions de la chair, de la famille, du temps… en un mot de son humaine condition. Le ver est dans ce fruit amer : comme bien souvent, il s’appelle dollar. Roupie, euros, livre, escudo, qu’importe, c’est toujours le même ennemi. Ce manque d’argent ruine la vie de Galen, lui interdisant comme à son allumeuse de cousine tout espoir d’avenir ailleurs. Mais peut-être bien que de l’argent il y en a ? Peut être bien aussi que les vieilles haines de l’enfance entre les deux sœurs sont en train de cascader sur une autre génération. Cascade du mal qui a commencé par le déluge des coups dont l’ancêtre gratifiait sa femme. Peut-être bien enfin que quelqu’un va devoir payer pour les rancœurs anciennes. Qui ? La mamie ? Les jeunes ? Leurs mères ? Dans ce roman, David Vann se fait de nouveau le chantre des forces souterraines qui opposent la faiblesse humaine et la nature implacable, ne laissant aucun espoir de rédemption. La fragilité de la peau exposée au soleil brûlant, les aspérités du bois qui blessent les mains ou les pieds fragiles, la soif qui dessèche, chaque atome du corps comme un rappel permanent de sa vulnérabilité. On peut lutter contre cette faiblesse, comme le tente Galen, en l’ignorant, en la méprisant, voire même en l’oubliant. Ce n’est hélas pas la bonne solution comme le démontre le fiasco absolu de sa tentative pour échapper à sa condition. Vann a changé de milieu, remplaçant les conditions extrêmes du Nord par la chaleur brûlante du sud. Tout en renouvelant sa problématique, il reste le laborantin cruel des petitesses et des illusions, tout particulièrement dans les nœuds douloureux de la famille. On n’arrive pas à imaginer que cet écrivain sache que le concept de « happy end » existe ! Son écriture tout à la fois sèche et allusive conduit inexorablement toujours vers le pire, par phrases dont la simplicité révèle un grand talent et beaucoup de travail. Il faut se laisser porter par le rythme lent du début, l’exaspération des émois d’un jeune homme déviant, les errements d’une mère aveuglée, dépasser l’impatience, car c’est dans les espaces, les trous de ce rien apparent que Vann introduit lentement le pire, en volutes paresseuses mais inexorables.
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