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GILLES VIDAL |
Histoires Vraies à ParisAux éditions LE PAPILLON ROUGE EDITEUR |
2964Lectures depuisLe samedi 17 Juin 2012
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Une lecture de |
Le bonheur ne tient qu’à un fil, dit-on parfois. Le fil du téléphone bien évidemment, sauf pour les monophobes qui ont leur portable greffé à l’oreille. Je parle du bon vieux téléphone qui trône sur le buffet du salon, sur le bureau, ou accroché au mur et sous lequel est disposée une chaise permettant de converser sans fatiguer des jambes variqueuses. Et Gilles Vidal rend à Charles Bourseul ce qui était indûment attribué à Graham Bell (et depuis 2002 à l’Italien Antonio Meuci, une longue controverse puisque Bell déposa son brevet deux heures avant Elisha Gray qui revendiquait lui aussi cette invention en 1874 et 1876). Mais cette spoliation envers Bourceul est le fruit du désintérêt de l’administration de la Poste et Télégraphe qui fut baptisée ensuite PTT (Postes Télégraphe Téléphone, PTT ne voulant pas dire comme certains aiment à le penser : Paie Ta Tournée, Petit Travail Tranquille ou autre Prends Ton Temps !). En effet son rapport n'est pas pris au sérieux par ses supérieurs. Il lui est renvoyé et son chef hiérarchique lui recommande de se consacrer entièrement à son emploi de télégraphiste. Il n'a d'ailleurs pas les moyens matériels de réaliser son invention. Il prend toutefois la précaution de publier une communication : « Transmission électrique de la parole » dans L'Illustration (26 août 1854). Depuis les chercheurs ne sont toujours pas mieux lotis, ceux-ci préférant s’installer à l’étranger afin de pouvoir réaliser leurs recherches en toute liberté financière, tandis que les étudiants étrangers sont priés de regagner leur pays et qu’une carte de séjour et de travail leur est refusée. Mais je digresse… Puisque le téléphone vient d’être évoqué, parlons d’Albert Robida, dont le nom et l’œuvre sont moins connus de ceux de Jules Verne mais qui pourtant fut un visionnaire. Dessinateur prolifique, ce fut également un écrivain éclairé. Ainsi il imagina qu’un jour les pièces de théâtre pourraient être diffusées chez soi, retransmises sur une sorte de miroir accroché au mur du salon. Plus que la télévision, c’était l’écran plasma qu’il suggérait dans ce qu’il nommait le Téléphonoscope, article paru dans Le Vingtième siècle en 1883. Mais les inventeurs furent parfois des originaux qui ne connurent la célébrité qu’à cause, on ne peut pas dire grâce, leur inconséquence. Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines entrouvrirent certes la porte à des inventions qui aujourd’hui n’ébahissent plus le public blasé. Parmi ceux-ci il faut citer Jean-François Boyvin de Bonnetot qui tenta, le 17 mars 1742, de rééditer l’exploit avorté d’Icare en se faisant fixer sur les bras et les jambes des sortes d’ailes qui devaient lui permettre de traverser la Seine en planant. Pari à moitié réussi. Un pari qui tourne au drame est bien celui tenté par Franz Reichelt qui se lance du premier étage de la Tour Eiffel, accroché à un embryon de parachute qu’il a confectionné, le 4 février 1912. Imaginez une réception à la Vil Coyote poursuivant Bip Bip et tombant du haut d’une falaise. Heureusement certains d’entre eux ne subissent pas le même sort, les aviateurs Santos-Dumont, qui est à l’origine des dirigeables, Jules Védrines, qui le 13 janvier 1912 pulvérise le record de vitesse en avion, ou Charles Godefroy qui passa le 7 août 1919 entre les arches de l’Arc de Triomphe à Paris. L’excentricité n’est pas l’apanage des savants, des chercheurs ou des adeptes des technologies nouvelles. Elle peut être le trait marquant d’individus, d’olibrius même, qui désirent se distinguer en actes ou en paroles. Comme cet étrange scientifique qui transporte dans sa diligence environ dix mille crânes afin de procéder à quelques expériences. Survolons rapidement ce cimetière ambulant et intéressons nous à Milord l’Arsouille, dont tout le monde a entendu au moins le nom. Cet Anglais né en 1805 à Paris, de son vrai nom Lord Henry Seymour-Conway, défraya la chronique par ses frasques. S’il est à l’origine du Jockey Club, il est surtout un fêtard (ancienne signification du mot arsouille qui veut dire également mauvais garçon et ivrogne). Dandy parmi les dandys et snobinard, il dépense sans compter, allant jusqu’à s’encanailler dans les lieux malfamés où se tiennent les combats de chiens. Moins médiatique et agissant de façon moins rédhibitoire Aguigui Mouna, un personnage contemporain puisqu’il est décédé à Paris le 8 mai 1999. Ce natif de la Haute-Savoie, de son véritable patronyme André Dupont, il prendra l’alias moins banal d’Aguigui Mouna. Il parcourt la capitale en vélo, il aime s’intituler vélorutionnaire, arborant un béret constellé de badges de toutes provenances, des pancartes supportant des slogans, des aphorismes dont certains seront repris par des humoristes (Nous sommes tous égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres). S’ils font rire, ces aphorismes sont empreints de bons sens : On vit peu, mais on meurt longtemps, Les mass-médias rendent les masses médiocres, Les valeurs morales ne sont pas cotées en Bourse… Peut-on s’étonner qu’il fut ami avec Cavanna et nommé Chevalier des Arts et Lettres par Jack Lang ? D’autres événements tragiques sont contés. Par exemple l’incendie du Bazar de la Charité qui fit cent vingt-quatre victimes, incendie qu’une voyante avait prédit peu auparavant. Véritable voyance ou charlatanisme ? Cela se discute, tout comme les personnages du Comte de Saint-Germain, de Michel Jacob le zouave guérisseur et de quelques autres. On pourrait citer également la disparition des archives détenues par le directeur des Renseignements Généraux le 14 juin 1940 alors que l’armée allemande entre dans Paris ; de l’ilot de résistance mené par la Ligue Antisémite et son représentant Jules Guérin, lors du siège de ce qui fut surnommé le Fort Chabrol, sis dans la rue du même nom ; de l’assassinat de Paul Doumer, président de la République, lors de sa visite dans un salon littéraire (Est-ce pour cela que les salons de l’Agriculture sont plus courus par les hommes politiques que les salons du livre ?) ; de Serge de Lenz qui se réclamait d’Arsène Lupin… sans oublier Félix Faure mort en atteignant le septième ciel grâce aux gâteries prodiguées par madame Steinheil. Marguerite, Meg pour les intimes, qui ne pipa mot. Ou encore Thérèse Humbert qui inspira sûrement le banquier Bernard Madoff et les organismes de crédit à la consommation en instituant à grande échelle les prêts renouvelables (ou non), jetant sur la paille bon nombre de débiteurs et dont le coffre-fort ne recelait qu’un bouton de culotte. Vingt-cinq historiettes, incroyables mais vraies, savoureuses ou tragiques, souvent méconnues, qui se lisent avec amusement, curiosité, intérêt, et que Gilles Vidal a dénichées en soulevant les jupes de l’Histoire.
Albert Robida fut un des plus célèbres illustrateurs pour les journaux de la fin du 19e siècle. C’était aussi un homme inventif qui, dès 1883, imagina le principe de la télévision, quelques années avant que Jules Verne y pense. Il s’agissait même d’une idée très proche de nos chaînes payantes actuelles. Charles Bourseul est un autre précurseur oublié. Grâce à ses expériences sur la formation des sons, il fut le premier à établir la technique du téléphone. Ça se passait en 1854, plus de vingt ans avant que Graham Bell ne s’empare de cette invention. L’Histoire de France et celle de Paris comptent finalement bon nombre de personnages, pour beaucoup sortis de nos mémoires, mais qui méritent d’être remis à l’honneur. Bien sûr, on connaît quelque peu l’histoire de l’immortel Comte de Saint-Germain, qui impressionna même un de ses concurrents aventuriers, Casanova. Le nom de Marguerite Steinheil, dernière amante du président de la république Félix Faure, reste associé à un double meurtre impasse Ronsin, ainsi qu’à un spectaculaire procès qui l’acquitta. On n’a sans doute moins de détail sur l’assassinat de Paul Doumer, président de la république en 1932. Escroc, paranoïaque ou criminel politique, difficile de déterminer la personnalité de son meurtrier, Paul Gorguloff. Si, durant l’Entre-deux-guerres, Serge de Lentz s’est pris pour Arsène Lupin, ça n’en fait pas un héros tellement admirable. De Dieppe à la Belgique en passant par Paris, son parcours d’escroc fut des plus redoutables. On recense également une galerie de délicieux excentriques. Tel l’apothicaire Léonard Guindre, un hurluberlu ayant pour obsession le trombone, instrument de musique qu’il valorisa à sa manière dans les années 1840. Le cas de Michel Jacob, qu’on surnomma le Zouave guérisseur, est diablement intéressant. Quand il était militaire, il soigna par l’esprit quantité d’autres soldats, avant de tenir un cabinet à Paris, puis à Londres, et de nouveau à Paris de la fin des années 1870 à sa mort en 1913. Jalousé, on dénonça son inculture médicale, pourtant les résultats de sa méthode étaient probants. L’histoire d’Aguigui Mouna est bien plus récente. Cet anarcho-écolo-pacifiste fut une figure parisienne des décennies 1970 et 1980. Ses préceptes et autres aphorismes étaient plein d’humour, et d’un certain bon sens. Fondateur du Jockey-Club en 1835, passionné de combats de chiens, lord Henry Seymour-Conway n’apprécia guère le surnom qu’on lui attribua, Milord l’Arsouille. La vie de ce riche dandy fut longtemps glorieuse, mais tout a une fin. Si le nommé Reichelt fut peu chanceux avec ses parachutes, Santos-Dumont, Jules Védrines, Charles Godefroy et quelques autres fous volants ont chacun gravé leur nom dans l’histoire de l’aviation. Santos-Dumont fut, d’ailleurs, plus respecté que ne le suggère ici l’auteur. Citons encore un étonnant épisode datant de 1940. À l’arrivée des troupes d’occupation, les Allemands recherchent en vain les archives politiques de la police de Paris. Elle ne furent pas détruites, car le policier Keruel eut l’Audace pour les faire disparaître. Voici une douzaine d’exemples, parmi les vingt-cinq histoires racontées avec une belle vivacité par Gilles Vidal dans cet ouvrage. On ne peut pas qualifier ces portraits d’anecdotiques, car il faut se souvenir que toutes ces personnes ont, à leur façon ou à divers degrés, marqué leur époque. Ainsi, le long épisode de Fort Chabrol, l’inextricable affaire Thérèse Humbert ou l’incendie (annoncé par une voyante) du Bazar de la Charité, restent des faits historiques qui eurent droit à maints échos. D’autres cas sont enfouis dans l’oubli, il est vrai. L’essentiel est bien de restituer en quelques pages le contexte et l’image de ceux qui en furent les héros. C’est ce que nous propose d’une manière très agréable Gilles Vidal, par ailleurs romancier de belle qualité. Un livre idéal pour redécouvrir quelques facettes de l’Histoire. |
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