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DAVID VANN |
Sukkwan IslandAux éditions GALLMEISTERVisitez leur site |
1712Lectures depuisLe samedi 8 Janvier 2011
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Une lecture de |
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Autopsie d’un raté Ce livre a exercé un charme étrange sur moi. Il est on ne peut plus rare, pour ne pas dire totalement exceptionnel, que je retourne régulièrement en arrière pour relire la fin du chapitre précédent. Ai-je bien compris ? Ai-je lu trop vite ? Mais comment est-ce possible ? Mais oui, mais non… Houdini de l’éllipse, dresseur de chausse trappe, la maîtrise de David Vann est stupéfiante : ce livre est un premier roman. Coup de génie, coup de bluff ? Il raconte à merveille une nature qui n’a rien d’idéalisée, ni de mystique. Il y a des insectes, des ours ; des choses inconnues font du bruit la nuit et effraient les hommes, même dotés de fusil. Leur place égale celle de n’importe quel autre mammifère, et la fragilité exposée devrait rendre à l’humilité… Le père, Jim, dentiste en rupture de ban, a décidé de tout laisser tomber pour démarrer une nouvelle vie en compagnie de son fils adolescent Roy, enfant mal connu issu d’un mariage raté. Mais Jim a le don de tout rater. Cette nouvelle vie, il va l’installer au fin fond de nulle part, une maisonnette, une cabane de chasse, comme il ne peut en exister que dans les grands espaces nord américains. Alaska, été bref, vie rude et qui confronte très vite à ses limites. Jim n’a aucune expérience, ses idées tournent toujours mal car il les réalise avant de penser à leurs conséquences, et sous l’œil critique de son fils qui se demande s’il aime ou s’il craint ce père, il fait consciencieusement tout capoter. Avec lui, aucune chance que cela puisse se passer même un peu bien. L’hiver hâtif conjugué à la dépression du père obsédé par ses échecs amoureux vont faire capoter les derniers espoirs, et le drame insidieusement annoncé dans chaque petit détail, explose au visage du lecteur. Le livre se compose de deux parties équilibrées. Dans la première, le focus narratif est concentré sur le fils, peu à peu miné par l’inconséquence d’un père qu’il ne peut ni aimer, ni respecter, mais pas plus détester. La seconde partie n’est que la longue errance du père dans une dépression filandreuse faite d’apitoiement sur lui-même, d’autodénigrement, d’indulgence coupable, de complaisance larmoyante. Un type répugnant moralement, ce Jim, et on se prend à regretter que mère nature ne lui règle pas plus rapidement son compte. Par certains côtés, l’esprit de ce roman n’est pas sans rappeler « Into the wild » de Seann Penn qui filme le ratage d’un retour factice à la nature, par un citadin pétri d’idéalisme. Dans ce roman-ci, pour Jim, il ne s’agit que de fuir un médiocre passé et une absence d’avenir. David Vann, l’auteur de « Sukkwan Island », a reçu le prix « Medicis étranger 2010 » pour ce roman se moquant des limites de genre. En effet, il rode auprès des frontières du roman d’aventure, avec ses péripéties de pleine nature, du roman psychologique avec une étude de cas étonnante, du thriller à cause de son suspens, et aussi, dans sa dernière partie, du roman policier quand Jim essaie de fuir de désastreuses responsabilités. Etonnant en tout point, il doit sa réussite à un style d’une très grande simplicité et à une science positivement diabolique de l’exposition des faits. Et l’efficacité talentueuse est la même, que Vann décrive les interrogations métaphysiques d’un gamin paumé, la progression d’une colonie d’insecte ou les variations météorologiques sur l’immensité de la baies James. A ne rater sous aucun prétexte, surtout si l’on croit rêver au retour à la nature.
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