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SERGE VACHER |
Lo Cro Do DiableAux éditions APRES LA LUNE |
1673Lectures depuisLe jeudi 13 Mai 2010
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Une lecture de |
Ça se passe à la fin des années 1990 entre la Creuse, la Corrèze et la Vienne, sur le Plateau de Millevache. C’est le Limousin rural, aux alentours de Bugeat. Trentenaire, Pierre Carmet est un célibataire habitué des bals à Masléon, où il n’a pas de mal à trouver des filles consentantes. Si la musique de Mario Darcel est approximative, c’est l’ambiance festive et quelques rapports sexuels rapides qui importent. Malgré son Brevet de Technicien Agricole et son expérience à l’usine Valliers (charcuterie, boyaux, salaisons), Pierre vivote de petits boulots. Il est finalement contacté par Louis Chastagnier, un agriculteur quadragénaire ayant besoin d’un bon ouvrier. En effet, depuis que son vieil employé Georges Nouhaud est parti en retraite, Louis est débordé. Même plus de temps à consacrer à sa ravissante jeune épouse, Mine. Louis engage bientôt Pierre. Six mois passent vite, au cœur de la saison agricole. Il est temps de partir pour Pierre. Mais Louis en ayant marre de se débrouiller seul, il demande à Pierre de rester. Ce qui ne déplait pas au célibataire, car il est comme tout le monde sous le charme de l’énigmatique Mine. Lo Cro do Diable est une crevasse géologique bordant les terrains de Louis. Un jour où avec son chien Pépère, Louis passe près de ce Trou du Diable que craignent les habitants du cru, il y découvre deux cadavres. Il s’agit de son ancien ouvrier Georges, et de son amie de saoulerie, Marie la Mie. Bien sûr que ces deux-là avaient l’habitude de s’alcooliser, mais de là à s’aventurer sans doute en pleine nuit dans ce décor ! En effet, c’est Georges qui a entraîné sa copine Marie dans les parages. Il pensait y avoir aperçu des fantômes ou des lutins, à l’entrée de cette grotte hostile. Max Léobon, journaliste à L’Écho du Limousin, et Bastien Lenoir, placide flic de Limoges s’intéressent à cette petite affaire dans la Creuse. Pour l’un, ce coin-là, c’est juste un tas de cailloux. L’autre précise : “La Creuse, mon pote, c’est aussi rempli de paysans et de loups. Que tu sais pas qui c’est les plus méchants. Il parait même que l’ours brun hiberne là-bas…” Le duo part chercher des témoins de ce double décès. Au bar de Marcelle, ils en discutent avec Louis et Pierre. Ce qu’ils ignorent, c’est que Bob le chasseur à l’arbalète rôde dans le secteur. Il surveille le passage qui permet d’accéder au Cro do Diable. S’il a l’âme d’un guerrier, Bob est surtout en mission pour Bellecourt, qui défend lui-même certains intérêts politico-économiques. Mais le stockage de déchets nucléaire en provenance d’Allemagne mobilise peu, par ignorance. Quand Louis est victime d’un accident de tracteur, Pierre pourrait être fortement suspecté…
C’est avec une vraie tendresse que l’auteur évoque le Limousin et ses décors naturels sauvages. “Louis put ainsi entendre enfin le vent bruissant les branches sèches, caressant les herbes encore debout, le vent sifflant le long de la lande, dont le souffle chaud en cette fin d’après-midi venait lui caresser le corps… Il écouta les branches mortes craquer au passage furtif d’un animal, les oiseaux muets d’abord, surpris eux aussi du silence après les grondements infernaux du moteur de la machine, se remettre à chanter, s’appeler de nid en nid, puis voleter un peu (…) Il écouta encore le vent filer vers le trou sombre, la crevasse, lo Cro do Diable, si profond, si plein de légendes, porteur de maléfices…” Cet environnement est menacé par un projet aux conséquences mal maîtrisées, bien que les complaisants rapports officiels se montrent rassurants. Serge Vacher nous présente aussi une belle galerie de personnages, issus du quotidien. Jojo noyant sa retraite dans l’ivresse, Louis le paysan sincère, le beau Pierre séducteur de balloches, Bastien le flic un peu blasé, Max le journaliste humaniste (“Dis donc, c’est pas parce que je fais des piges dans un journal régional de merde, à rencontrer des paysans obtus, des sportifs poussifs ou des hommes politiques sans envergure qu’il faudrait me prendre pour un imbécile. Mon boulot, c’est de comprendre où je vis et de les faire causer, ces cons-là. Qui sont quelquefois pas si cons que ça, d’ailleurs.”) Le contexte, cette vie simple et honnête qui est la leur, est bouleversé par plusieurs morts suspectes. Pour de minables enjeux internationaux, somme toute. Les héros locaux de cette histoire semblent dire : “Laissez-nous vivre à notre guise, à notre rythme”. Voilà sans doute ce qui rend cette intrigue convaincante. (collection "Lunes blafardes") |