le collectionneur d’herbe de Francisco josé VIEGAS


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FRANCISCO JOSE VIEGAS

Le Collectionneur D’herbe


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Le lundi 14 Mai 2018

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Francisco josé VIEGAS




Une lecture de
CLAUDE LE NOCHER

CLAUDE LE NOCHER  

Jaime Ramos est un homme mûr, policier émérite à Porto. Il n’est guère bavard sur sa vie, ni sur son passé. À part son ami Sequeira, rares sont ceux qui savent que Jaime Ramos eut autrefois une fervente admiration pour le communisme. Mais, dans un Portugal qui a tant évolué depuis la Révolution des Œillets et la perte de quelques colonies, Jaime Ramos a tourné la page de sa politisation. Il est entouré d’une équipe de policiers dévoués. Le plus fidèle, c’est sans conteste Isaltino de Jesus. Dans une enquête, il note tout, et dans sa vie privée, il a aussi des marottes assez culturelles. Il y a aussi Jacinto Hipólito et José Corsário, un Noir natif des îles du Cap Vert, héritier d’influences diverses, qui ne se considère pas comme Africain mais en tant que pur Capverdien. Enfin, il y a encore Olívia, grande et musclée, une femme de trente-neuf ans, efficace sur le terrain.

Ils entament une première enquête sur deux cadavres découverts dans une voiture qu’on a voulu incendier, à l’orée d’une pinède. L’un est au volant, l’autre dans le coffre. Ils ont été abattus par armes à feu. Plus tard, l’autopsie relèvera au total neuf impacts sur les victimes, supposant deux tireurs. Le même jour, plus loin sur la rive du fleuve, on va retrouver la corps d’une Africaine de trente ans. Les deux hommes de la voiture sont vite identifiés. Arkady Tazarov, natif de Mourmansk, et Mikhaïl Polianov étaient d’anciens militaires russes ayant immigré depuis un certain nombre d’années au Portugal. La police ne pourra pas compter sur Irina, l’épouse de Mikhaïl. Cette femme, à l’esprit tourmenté des héroïnes russes, n’est pas surprise de ce double crime. Mais elle a décidé de jouer à la veuve naïve, ignorant pourquoi son mari et Arkady brassaient tellement d’argent.

Jaime Ramos doit également enquêter sur la disparition de Bénita, vingt-deux ans, issue d’une grande famille portugaise, aux souches historiques. Il semble que, selon son père, la jeune femme ait surtout choisi de s’éloigner de l’univers familial. Si Luis Ferreira Vasconcelos, le frère de Béni, dirigeant leurs activités à la suite de son père, est courtois, Jaime Ramos n’obtiendra pas vraiment de précisions sur l’escapade de Béni. Le policier en saura bien davantage grâce à son ami Sequeira. Ayant vécu en Angola, Vasconcelos-père s’est enrichi à son retour. Leur famille fait partie de l’union hétéroclite formant au Portugal les cercles de la finance et du pouvoir, que leurs affaires soient légales ou pas. On repère bientôt la piste de Béni à Vigo. Descendue dans un bel hôtel, elle ne donne guère l’impression de se cacher. La policière Olívia se rend à Vigo pour retrouver sa trace.

Ingénieur de formation âgé d’une trentaine d’années, Miguel dos Santos Póvoa sillonne le monde. Il est l’émissaire d’un grand nom du Portugal, qui l’a chargé de collecter pour lui des herbes rares : liamba, suruma, ganja, maconha, bagulho, et autres produits ayant les mêmes vertus. Toutefois, son commanditaire est entouré d’ex-militaires nostalgiques d’une puissance perdue. Des gens pour qui la vie humaine a peu de valeur, peut-être…

(Extrait) “Elle regarda Jaime Ramos bien en face comme si elle savait déterminer ses adversaires et ses ennemis, et d’où pouvaient venir les menaces les plus immédiates. Elle avait vu en lui un tyran d’opérette un peu gros, pas encore touché par la calvitie et qui aimait donner l’impression qu’il en savait plus qu’il ne le laissait paraître. Irina était une femme modeste et naïve, mariée à un gangster, un second couteau, un certain Mikhaïl qui obéissait aveuglement au méchant de service. Et le méchant de service, c’était Arkady Tarasov, un Russe de Mourmansk qui dirigeait les opérations, contrôlait l’argent et connaissait les moindres détails de toutes les affaires en cours. Mikhaïl était un pauvre diable marié avec une femme modeste et ignorante. C’est de cet état de chose que dépendait son salut, sa liberté, et surtout son futur. Cet homme trapu et silencieux qui parlait rarement, qui affichait une intelligence qu’il ne possédait pas, était son principal ennemi.”

Quand on adopte la formule "roman policier littéraire", on note souvent un scepticisme ou une réaction narquoise chez des lecteurs confirmés. Le polar et le roman noir, on ne les lit pas pour leurs qualités d’écriture, juste pour leurs sujets ou leurs intrigues ? Pourtant, c’est franchement agréable de se plonger dans un livre écrit avec style, comme ce titre de Francisco José Viegas. Par exemple, on aime ce genre de portrait qui, en quelques lignes, situent un personnage : “Le Directeur avait une voix de basse, profonde, comme s’il venait de se lever et ne s’était pas encore éclairci la gorge. Jaime Ramos reconnaissait les cordes vocales qui avaient macéré dans le tabac et l’alcool – péchés d’un autre temps – et avaient été travaillées régulièrement pour produire cet effet de sérénité apparente.”

On réalise tôt que si le policier Jaime Ramos est chevronné – près de quarante ans de service, il ne va pas nous entraîner dans des aventures percutantes, spectaculaires. Pour autant, le cas criminel ayant causé plusieurs victimes, ainsi que la disparition de la jeune Bénita, sont effectivement exploités et trouveront leur dénouement. Mais ce dont l’auteur nous parle en priorité, c’est de son pays. Dans des descriptions soignées, bien sûr. Plus important encore, en nous rappelant que si sa superficie n’est pas énorme, le Portugal a été bien implanté à travers le monde : au Brésil, en Angola, au Cap Vert, à Sao Tomé-et-Principe, en Guinée-Bissau, pays avec lesquels existent toujours des relations. Au risque que certains commerces soient aux frontières de la légalité. Quant à la famille Ferreira Vasconcelos, elle apporte un exemple de la vieille tradition portugaise, et de son évolution.

Au-delà des faits meurtriers ou violents, tout roman noir digne de ce nom comporte une observation sociologique, et une approche humaine. Dans cette optique, la maturité de Jaime Ramos est un précieux atout. Une excellente histoire, admirablement racontée.

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