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PATRICK VALANDRIN |
Midi NoirAux éditions LA DIFFERENCEVisitez leur site |
769Lectures depuisLe mercredi 21 Octobre 2015
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Une lecture de |
Venant d'Alsace, le quinquagénaire Jean-Yves Grenier est maintenant policier à Avignon. Celui que l'on surnomme Le Jygue est un commissaire singulier, circulant dans sa Twingo rose, préférant loger à l'hôtel. Souvent alcoolisé, Grenier s'entend mal avec son supérieur, le prétentieux commissaire Boileau. Le courant passe mieux avec Marjolaine Pamier, la blonde policière en tenue chargée de l'assister. Native de la région, la jeune femme reste méfiante envers la population. Grenier a déjà noté leur tradition de combinards : “C'était le Sud. Tout le monde voulait être malin, avoir raison, arnaquer si possible. Ou était-ce de la solidarité entre pauvres ? C'était un drôle de peuple, tellement illogique.” À Barenton-les-vignes, Albert Malfione habite avec sa compagne Maryse et les enfants de celle-ci au camping local. Plutôt s'agit-il d'un campement pour les journaliers, ouvriers qui trouvent de l'embauche dans les domaines viticoles voisins, tel Albert. Celui-ci s'accuse du meurtre de Moustafa, qu'on appelle ici l'Arabe. Sauf qu'on a trouvé aucun cadavre dans le secteur. Gros buveur, raciste, violent avec sa compagne, se vantant de bientôt toucher le pactole, Albert a généralement l'esprit embrumé. Il sera remis en liberté peu après. On va retrouver son corps dans une cuve qu'il nettoyait, au Clos du Petit Versailles, la propriété de Christian Michel. C'est un accident : Albert a été asphyxié par du gaz carbonique. Le policier Grenier est mal convaincu par cette version des faits. Entre mistral et canicule, il poursuit son enquête du côté de Barenton, autour des vignobles des Jardins-du-Roy. Il ne tarde pas à sympathiser avec Piotr Lemoine, qui produit au Domaine des Moines un vin bio dont la qualité est universellement reconnue. Les traitements chimiques, il s'y refuse, même contre la flavescence dorée, nouvelle maladie de la vigne. Sans doute est-ce pour ça qu'on s'attaque à ses biens. Les pratiques frauduleuses de la profession, il les connaît : l'assemblage de vins d'un même domaine est une bonne chose, à condition de ne pas tricher. Mais chez les producteurs du coin, chacun suit ses propres règles. On est en pleine période électorale d'entre-deux-tours. Le député-maire de Barenton va-t-il perdre son siège lors des Législatives ? C'est que dans le Vaucluse, l'extrême-droite est bien placée. Le populisme décomplexé du parti prônant la zizanie et le "chacun-pour-soi-on-est-chez-nous" plaît aux arrivistes et à ceux qui croient au miracle. Les propriétaires de vignobles protègent leurs intérêts, paient mal leurs salariés, mais le vent pourrait tourner pour cette caste de nantis. Toutefois, les élus de Barenton savent que les politiciens du parti nationaliste sont aussi corruptibles que les autres, sans doute plus facilement. Les variantes du camp politique droitier ne forment qu'une même mafia. Moustafa est certainement encore en vie, encore faut-il qu'il réapparaisse dans la région. Après avoir traîné dans la nuit avignonnaise, d'un bistrot crade à une camionnette de prostituée, le commissaire Grenier comprend comment on a masqué les preuves indiquant que la mort d'Albert était un meurtre. Pour autant, Marjolaine et Le Jygue ne pourront pas le démontrer directement. Rester manichéens serait probablement une erreur, Grenier le sait parfaitement, lui qui estime que la vérité n'est qu'une chimère… Par son contexte, il s'agit d'un véritable roman noir où la sociologie a toute sa place. Par exemple, l'auteur nous suggère que la bonhomie provençale affichée cache, chez une partie de cette population, des comportements malsains confinant à la haine. Un virus qui semble se répandre, y compris chez des gens modestes, face à l'inaction des démocrates. Quant aux vieilles pratiques viticoles frauduleuses, bien au-delà de la chaptalisation illicite, on nous indique qu'elles auraient toujours cours. On peut supposer que ça ne touche pas seulement le terroir entre Avignon et le mont Ventoux. Avec une lueur d'espoir, d'autres adoptant avec succès des méthodes respectueuses du vignoble et du vin. L'enquête est menée par un policier atypique, au passé marqué par un sombre épisode, maladroit avec les femmes, abusant des boissons alcoolisées. Néanmoins, il conserve une rectitude personnelle face à cette affaire criminelle. Ses quelques défauts, ses déboires et, surtout, le fait qu'il ne soit nullement guidé par des certitudes, tout ça le rend bientôt assez attachant. Rares sont les autres personnages nous inspirant un sentiment favorable. Outre que l'auteur évite avec finesse les caricatures lourdingues, il convient de souligner la souplesse narrative du récit, rendant fort agréable la lecture de cette histoire. Patrick Valandrin nous présente là un excellent premier polar. |