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JEAN VAUTRIN |
Typhon GazolineAux éditions COLLECTOR |
638Lectures depuisLe vendredi 14 Aout 2015
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Une lecture de |
Saint-Chély est un village du Limousin comptant deux cent huit âmes. Un été chaud sévit dans ce décor campagnard : “Il fait sec et frappadingue cette année-là à Saint-Chély.” Parmi les figures locales, il y a le gros maire, patron du bistrot local, un vrai con. Et puis le garagiste Triaunat, avec sa femme Colette et leurs deux fils : Marcel, mécanicien costaud, et son frère Germain, qui est un demeuré. Sans oublier Isabelle, leur sœur de douze ans, déjà bien attirante. Surtout, à Saint-Chély, il y a la famille Chalier, des paysans attachés à leur terre. Le père Chalier s'est remarié avec la pulpeuse Mado voilà trois ans. Certains trouvent qu'elle fait un peu pute, ce qui n'est pas faux. Bernard, le plus jeune fils Chalier, habite là : il ne se sépare guère de son fusil, ni de son chien Mackie. Son aînée Yvette est en froid avec leur père : elle est serveuse au bar du maire. Un gars musclé comme Marcel Triaunat, ça ne lui déplaît pas qu'il la courtise. Antoine Chalier, l'autre fils, est parti vivre à Clermont-Ferrand. En dehors du boulot, il s'y fait une petite notoriété en tant que boxeur. Quelques années plus tôt, Antoine fut plutôt intime avec Mado, sa belle-mère actuelle. La Mado, elle se laisse volontiers sauter par le garageot Triaunat, si ça se présente. À Saint-Chély, outre le curé sans grosses ressources, il y a encore Calestroupat. C'est le chef de gare : “[Il] est persuadé, sans que personne le sache, qu'il est d'une espèce supérieure. Qu'il est capable d'instinguer, de comploter, de manipuler. C'est, comment dire ? C'est comme un germe, une intime conviction… Plus que de piloter les trains sur d'inextricables aiguillages, il est fait pour conduire les hommes.” Le projet secret du garagiste Triaunat, Calestroupat s'y est associé, imaginant déjà son développement. De quoi s'agit-il ? Avec Werner, ancien de la Wehrmacht qui lui sert d'esclave, Triaunat creuse afin de trouver du pétrole dans les sous-sols du Massif-Central. Des géologues ont affirmé que ce n'était pas impossible. Les carottes de forage n'ont encore rien démontré. L'idéal pour le garageot sera d'acquérir un champ appartenant au père Chalier, plus prometteur en pétrole. Buté comme un sillon de patates, le paysan se refuse à vendre, et sans diplomatie. Par contre, avec Mado, ils répandent la rumeur auprès des villageois, dénonçant l'idée farfelue de Triaunat. Si le garagiste est ridiculisé, ça ne dure pas. Car, à l'initiative du chef de gare, une gazette de la région confirme que Saint-Chély est probablement un secteur pétrolifère. L'essentiel de la population (y compris le curé) adhère à la SCREP, la société de Triaunat et de Calestroupat. Le père Chalier reste le seul obstacle, et ça tourne à la déclaration de guerre entre eux. Après avoir expédié Mado à Clermont-Ferrand chez Antoine, avec son fils Bernard, ils prennent Werner pour cible, entravent les travaux en cours, dressent une frontière face au chantier. Un incendie accidentel chez Triaunat sera évidemment imputé à Chalier. Tandis que sa Mado exilée n'est pas insensible aux boxeurs, et que le premier derrick est en place, le père Chalier cumule les embêtements. Les groupes pétroliers vont devoir compter avec la concurrence de la France profonde, se réjouit Triaunat… Jean Vautrin est décédé le 16 juin 2015, à l'âge de quatre-vingt-deux ans. Le grand public retient peut-être davantage son Prix Goncourt (en 1989) et ses romans classiques, que les débuts de romancier de cet auteur, avec ses excellents polars. Publié en 1979, ce 7e titre de la collection Engrenage est une comédie satirique diablement excitante. Passons sur la situation géographique du village, entre Limousin (Saint-Chély est censé s'y trouver) et Auvergne (on évoque le Livradois, inclus dans cette seconde région, plus proche de Clermont-Ferrand). C'est de ruralité dont il est question, qu'importe l'endroit précis. Les péripéties se succèdent à un bon rythme dans cette bourgade. L'auteur dessine quelques savoureux portraits, du “sourire compassé de l'épicemarde, une gorgone de soixante-trois hivers et de quatre phlébites...” à la présentation de Werner : “Une grosse trombine teutonne, la cinquantaine et les yeux bleus qui papillotent sous l'effet de la lumière. Maculé de terre, l'estomac plantureux, il s'avance jusqu'au garagiste...” Ici, on est fier de sa virilité : “Chalier, ça lui fait plaisir qu'on reconnaisse sa puissance au radada. Soixante-trois ans et le masculin-singulier toujours aussi roide qu'un étalon, c'est quand même pas trop mal.” Un souriant western mouvementé au cœur du Massif-Central, c'est ce que concocta Jean Vautrin dans ce polar champêtre. Une intrigue franchement sympathique. |