Gallmeister a jugé bon, et c’est une idée éditoriale intéressante, de faire paraître en même temps « Goat Mountain », un roman dur et beau sur lequel j’ai écrit il y a quelques jours et ce « Dernier jour sur Terre » témoignage d’une Amérique que rejette l’auteur. Cela ravira tous ceux que la création littéraire fascine, tous ceux qui fouillent sans cesse dans ce qu’il connaisse d’un auteur : à quel endroit, à quel moment et par quel procédé passe-t-il de la réalité à la fiction. Quels processus opèrent, quels filtres sont à l’oeuvre? David Vann donne, sans fard, des clefs qui n’étonneront aucun de ceux qui, depuis qu’il est traduit, attendent chacun de ces livres avec une curiosité avide. Oui, son père s’est suicidé. Oui, avec une arme à feu. Vann a d’ailleurs hérité à treize ans de toutes les armes paternelles. Oui, ce père était un homme incapable de fidélité, d’amour, de tranquillité d’âme. Voilà pour le fond. Mais dans ce qui pourrait s’apparenter à un témoignage, plus qu’à un traité sociologique, il y a le style. Et quel style ! Je vais lâcher le gros mot qui fera frémir certains. Il y a dans quelques-unes des pages de « Dernier Jour sur Terre » un rythme, une violence factuelle, une noire solitude aussi forte que le témoignage de James Ellroy dans « La Malédiction Hilliker ». Cet enfant abandonné qui court les rues, une arme cachée sous ses vêtements et qui regarde par les fenêtres ? Cette tension terrifiée, cette fascination pour la mort ? David Vann, en homme de bon sens, ne peut que s’interroger sur la multiplication des meurtres de masse dans les écoles américaines, et cette interrogation est ce qui motive le livre. Ce phénomène, possible dans un pays où l’on profère une religion insensée pour les armes à feu, plonge aussi ses racines dans la solitude d’une jeunesse élevée par la télévision. Et c’est cela qu’il nous raconte. Comment l’adolescent acnéique, tenté par la drogue, isolé, en recherche d’amitié et de confiance aurait pu à chaque instant plonger et devenir l’auteur d’un de ces faits divers sanglants qui depuis Colombine endeuillent régulièrement l’actualité. Bien sûr, pour nous, Européens, il est facile de se laisser convaincre de l’insanité de la vente libre des armes. Et de se féliciter de n’avoir pas connu notre Colombine. Pas encore ? David Vann a survécu aux convulsions de son adolescence. Il n’a tué personne. Héritier d’un passif de violence, il a posé les armes pour prendre la plume. Cependant, malgré les révélations intimes que contient ce témoignage, on n’en saura pas plus sur la mystérieuse alchimie de l’écriture. On effleurera, on humera, on suivra des pistes… et on continuera, longtemps, à être troublé par ce livre.
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