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JAN THIRION |
Inconsolables SorcièresAux éditions ASGARD EDITIONS |
3131Lectures depuisLe jeudi 21 Juillet 2011
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Une lecture de |
Franz Dieu, au nom improbable, est toujours flic à Toulouse. La ville, qui n’en finit pas de se remettre de l’explosion AZF, se décline plutôt en noir qu’en rose. Les gangs s’affrontent sur le terrain, chacun souhaitant étendre son territoire au travers d’affrontements sporadiques aussi meurtriers qu’absurdes.Dans ce grand merdier urbain, comme ailleurs, les salauds ont la vie belle. Il y a les harceleurs agissant en toute impunité, les pédophiles tranquilles qui commettent leurs saletés dans le cadre familial, et les victimes sans recours. Presque sans recours, car un site héberge, sous pseudo, leurs plaintes désespérées. Sous la perruque qui le fait ressembler à sa mère, et sur un air chanté par Anne Vanderlove, Xavier Poumon, incarnant « Catawoman », va venger les faibles et les impuissants. Faire le ménage, éradiquer la mauvaise graine… Il y a le style Thirion, fantaisie poignante, œil sombre, humour abrasif. L’histoire pleine de sonnet de Shakesperare. Des personnages forts et fragiles à la fois, les dialogues entre ellipse meurtrière et plaisanterie épaisse. Après « Dieu veille Toulouse », on a grand plaisir à retrouver la plume vive et imaginative de Jan Thirion.Les plus gros défauts de ce roman sont de toute évidence son titre et sa couverture. Sur le coup, j’ai cru à une erreur d’aiguillage, comme il en arrive parfois. Un roman pour grand ado, une histoire de vampires, tombé de façon hasardeuse dans ma boite aux lettres ? Certes, le revolver braqué induit un doute, mais il m’a fallu réellement surmonter une répugnance pour en ouvrir les pages. J’y étais fortement invitée par le nom de l’auteur, et j’ai bien fait de m’en remettre à ma curiosité, Thirion faisant en effet partie de ces rares auteurs au style fortement identifiable, malgré une exceptionnelle capacité à se renouveler.Derrière la couverture repoussoir, un roman qui réalise quasiment un exploit : frôler de près l’absurde tout en offrant une peinture très noire et assez réaliste de l’époque. Une capture de l’esprit du temps avec un ton très personnel.
Le narrateur, appelons-le Catawoman, vérifiant dans sa voiture garée dans un parking son manuscrit qu’il vient de faire photocopier en cinq exemplaires, s’aperçoit donc de cet oubli et arrache la feuille de garde d’une copie. Par la lunette arrière de son véhicule il entrevoit un homme qui est agressé par deux gamins. L’individu sort de sa poche un revolver mais les deux jeunes adolescents sont plus rapides que lui et l’abattent. Lorsque Xavier, dans une sorte de réflexe inconscient remarque l’arme sur le capot de la voiture de l’homme blessé à mort, il s’en empare en entrouvrant sa portière. Mais il ne se rend pas compte que la feuille déchirée tombe à terre aux pieds du cadavre. Puis il s’en va, tranquillement, tout en pensant à la lecture qu’il doit effectuer en public dans une librairie toulousaine quelques jours plus tard. Lorsque les policiers effectuent les premières constatations, cette feuille volante les intrigue. Franz Dieu et son équipe apprennent par le médecin légiste que sur le haut du corps un œil a été tatoué. La marque des Sorcières, une bande de malfrats sévissant dans l’un des quartiers chauds de Toulouse. Un des policiers s’étant un peu trop confié à une journaliste, bientôt le nom de l’auteur de la citation est dévoilé : Shakespeare. Ce ne pourrait être qu’un banal incident si deux Inconsolables, une bande rivale des Sorcières, étaient retrouvés dans une voiture avec sur le pare-brise une autre citation de Shakespeare. Puis un nouveau cadavre est retrouvé avec un livre entre les dents, Roméo et Juliette du même dramaturge élisabéthain. Une guerre des gangs pense Dieu qui a déjà pas mal de soucis à régler. Dans le bar le Vertigo, qui est réputé comme le quartier général des Sorcières et où travaillait Hanlon en tant que videur, le collègue avec lequel il travaille en binôme lui fait remarquer un consommateur qui pourrait être son jumeau, un sosie presque quasi parfait. Il a le visage ravagé, comme lui, suite à on ne sait quel accident. Mais Dieu n’y prête guère attention, il a d’autres soucis en tête comme je l’ai déjà dit. Dans quelques jours il doit assister au jubilé de son patron, l’irascible commissaire Hérion, et auparavant se plier à une séance d’entraînement formation, le genre de chose qui l’horripile. Alors il se venge en dégustant ses briques de jus de pomme, alors que ses collègues carburent à la caféine et parfois aux amphétamines, mais c’est du jus de pomme cuvée spéciale, en provenance directe d’une bouteille de vodka qu’il transvase. Heureusement, il existe un petit coin de ciel bleu dans son existence grise et qui se manifeste sous le doux prénom de Blanche. Celle-ci occupait précédemment le logement où il vit et grâce à sa propriétaire il fait la connaissance de la jeune femme qui se révèle charmante et même plus. Que devient Catawoman, me demanderez-vous avec juste raison ? Il pense à sa mère, il écoute Anne Vanderlove en boucle, la chanteuse préférée de sa mère, il se connecte sur le site Grief.com car il s’identifie à sa mère décédée. Mater Dolorosa comme son père l’appelait avant qu’il quitte le foyer. Sa mère qui accumulait tous les malheurs du monde dans sa tête, qui se rendait malade à cause des infos. Qui s’est autodétruite. Alors Catawoman recueille sur Grief.com les doléances de ceux qui subissent le joug des autres. Il y a Manu, qui est harcelé, battu, racketté par un collègue de travail, Antigone, qui harcelée par un proviseur de lycée s’est défenestrée et vit maintenant en chaise roulante, et Duke qui affirme devoir subir les assauts de son beau-père. Et d’être en possession d’une arme donne des idées à Catawoman. S’en servir bien évidemment pour réduire les souffrances des uns et des autres et les venger en laissant sur le lieu de son forfait une citation de Shakespeare. Puisque c’est à la mode. Et comme si cela ne suffisait pas, il y a les gamins des rues, qui sont affiliés à l’une ou l’autre des bandes, comme Tim le poussin, ainsi surnommé parce qu’il est toujours habillé de jaune, et son chien Roland Garros, un pitbull qui mâchouille en permanence une vieille balle de tennis. Le lecteur qui passe allègrement du Je du narrateur, en suivant les pérégrinations de Catawoman, au Il de l’enquêteur Franz Dieu perdu dans ses démêlés avec sa hiérarchie, son enquête, ses amours nouvelles et anciennes, il doit aller voir son ex, Noé, qui est aussi romancière et doit faire une lecture publique de son nouveau roman dans une librairie renommée. Il peut s’identifier au « héros » de cette histoire, suivre l’enquête du côté des policiers. Il frémit, ressent la peur en même temps que les protagonistes, il accompagne les divagations des différents personnages, a envie parfois de dire « attention danger », se prend au jeu, si c’en est un, et aimerait que tout se termine bien. Jan Thirion nous offre une nouvelle facette de son talent, après la plongée historique dans les prémices de la guerre d’Indochine avec Soupe tonkinoise, ou la franche rigolade de Sextoy made in China. Jan Thirion bascule d’un univers à l’autre avec bonheur et pour le plus grand plaisir de ses lecteurs.
Mais ce Toulouse n’est pas celui de la « la brique rouge des Minimes » mais celui des caves incertaines de la mal nommée Bellefontaine. Les bandes s’affrontent au gros calibre et ne connaissance pas la pitié pour les transfuges. D’un côté les « Sorcières » de l’autre les « Inconsolables » et au milieu un inconnu, admirateur de Shakespeare, qui a récupéré un flingue et qui entend dispenser sa justice divine. Et Dieu dans tout ça ? Il n’y pourra pas grand-chose, lui que la nature à affublé du prénom Franz, lui ôtant ainsi tout pouvoir. Car si Toulouse n’est pas la « Ville Rose », Dieu n’est qu’un commissaire de police que l’amour va surprendre avant de le terrasser de désespoir. Et Ian Thirion poursuit son parcourt atypique dans l’univers du polar, sautant allégrement de l’évocation historique au désopilant divertissement et de celui-ci à la description d’un monde marginal qui ne connait de l’espoir que son inexistence. |
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