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JAN THIRION |
Soupe TonkinoiseAux éditions TMEVisitez leur site |
3082Lectures depuisLe mercredi 4 Aout 2010
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Une lecture de |
Jan Thirion quitte le présent de ses précédents romans pour s’enfoncer dans le passé colonial de la France. Août 1910, la France règne en maître sur l’Indochine. Humour, sexe et crocodiles sont au rendez-vous, de ce roman finalement historiques, ne serait-ce que par la description de la sauvagerie sous-jacente à l’œuvre civilisatrice des colons.
Aout 1910. Depuis 1843 l’armée française occupe un territoire coincé entre l’Inde et la Chine : l’Indochine française, composée du Tonkin, de l’Annam et de la Cochinchine trois pays qui seront regroupés par la suite en Viêt-Nam, plus le Laos et le Cambodge. Raison officielle, les militaires doivent circonscrire les persécutions de missionnaires. Depuis plus de soixante ans donc, les troupes françaises se sont installées au Tonkin et afin de mieux s’intégrer à la population, les militaires célibataires, sont conviés à épouser des congaïs et assurer une descendance métissée. Depuis quelques mois à Hanoï, des jeunes filles, très jeunes parfois, sont retrouvées assassinées, leur tête coupée disparue dans la nature. Et depuis quelques jours ce sont des soldats, français, métis ou Tonkinois enrôlés dans l’armée qui sont retrouvés la tête décollée et leurs attributs virils tranchés. Ceux qui ont opéré ont pris soin d’emmener leurs trophées. Mais cela n’empêche pas les officiers français de se réunir et de procéder à de petites fêtes entre amis. Ainsi le colonel Manchecol reçoit quelques amis, des militaires bien évidemment, pour célébrer dans la joie et la bonne humeur ses cinquante ans. Mais le lieutenant Lamourette manque est absent et la dégustation des choux à la crème ne souffre aucun retard. Le colonel décide de faire appel à Héli Auguste Thirion, ex-gendarme, dégradé, versé dans la compagnie des ouvriers à Hanoï. L’année précédente, Héli a résolu avec brio une affaire d’empoisonnement, et selon le colonel, c’est l’homme adéquat pour retrouver Lamourette. D’ailleurs les deux hommes se ressemblent, ce qui est un bon point. Même la jeune femme du colonel s’y trompe dans la pénombre, ce qui, la méprise effacée, ne l’empêche pas de le provoquer et de le conduire à pratiquer quelques exercices qui ne figurent pas dans le manuel de l’armée à l’intention des tirailleurs. Tout en prenant à cœur de remplir la mission qui lui a été confiée, Thirion tombe amoureux de la belle Mathilde qui reviendra à la charge le lendemain dans un parc botanique et s’offrira à nouveau, penchée au dessous de la fosse aux crocodiles. Très périlleux comme position. Prendrait-il trop à cœur son devoir de retrouver Lamourette ? Peut-être parce que le colonel lui enjoint d’abandonner ses recherches. Mais Thirion est un obstiné. D’ailleurs il a accumulé quelques résultats grâce à Chofflet le photographe, surnommé Petit Oiseau. C’est Madame Lotus, la tenancière du pavillon où se rendent les gradés afin de satisfaire des besoins naturels et physiologiques qui le met sur la piste. Et Chofflet avoue, non sans réticence, appartenir à une loge maçonnique, tout comme le colonel Manchecol, Lamourette et deux autres frères. Au-delà de l’intrigue dont l’épilogue est fort bien venu, Jan Thirion s’attache à reconstituer une petite partie de la domination française au Tonkin, qui deviendra plus tard le Viêt-Nam. La soldatesque composée de Français venus de la métropole ainsi que des métis et des autochtones qui ont fait allégeance auprès de leurs colonisateurs, est particulièrement répressive, envers des activistes et des terroristes regroupés sous l’appellation de Pavillons Noirs, ou de simples pékins qui n’avaient que le tort de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Et la plupart du temps les soldats tonkinois qui se considèrent comme français à part entière, reniant leurs origines, exercent leur fonction avec plus de brutalité que les militaires français de souche. Ils se conduisent en tortionnaires sans scrupules. Et pourtant ce n’est pas leur solde qui les motive : Il range dans une sacoche ce qu’il doit emporter, les permissions à distribuer, le courrier, les soldes à verser aux autochtones qui touchent trois fois moins que les métropolitains et deux fois moins que les métis. A noter qu’entre un résistant et un terroriste n’existe qu’une définition sémantique selon qu’on soit d’un côté ou l’autre de la barrière de l’occupation. Lorsqu’un soldat décède, ses enfants issus d’un mariage avec une congaï sont rapatriés de force en métropole, tandis que les mères bouleversées, éplorées, cherchant à rejoindre leur progéniture se jettent dans les eaux du Fleuve Rouge dans l’espoir vain de rejoindre l’embarcation. Autant de faits qui mis bout à bout peuvent expliquer la première guerre d’Indochine, à partir de 1946, mais dont la genèse est souvent occultée dans les manuels d’histoire qui prônent les bienfaits de la colonisation. Et l’on ne peut s’empêcher à relier ce pan d’histoire à des événements qui se sont déroulés trente ans plus tard, en France. « On guillotine à la prison, pendant qu’à la gare les futurs bagnards montent dans des wagons à marchandises. Les lendemains d’épuration présentent toujours des allures de fantasmagorie morbide et malsaine. Les innocents d’aujourd’hui profitent du spectacle. Exécutions et déportations doivent servir d’exemples ». A méditer : « - Bientôt on trouvera plus de Jaunes en métropole qu’en Indochine. - Et au Tonkin, on trouvera bientôt plus de Français que dans les faubourgs de Paris». |
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