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LEOPOLD TURGOT |
Si Loin Des îles....Aux éditions LOCUS SOLUSVisitez leur site |
242Lectures depuisLe mercredi 1 Juillet 2015
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Une lecture de |
De Brest bombardé à Huelgoat libéré. Présenté et édité par Hervé JAOUEN. Carnet central iconographique de seize pages. Parution 24 avril 2015. 96 pages. 13,00€. Elles sont îles... En ce temps là, les textos n'existaient pas, et pour communiquer en famille, le papier et le stylo étaient de mise. Et quel plaisir pour la famille, proche ou séparée par l'Atlantique, de recevoir des nouvelles de personnes éloignées ou dont le destin est suspendu par la guerre. Ainsi lorsqu'une missive écrite pendant la Seconde Guerre mondiale est redécouverte dans des affaires de famille, il est intéressant de retrouver trace de ceux qui aujourd'hui sont disparus. D'autant qu'il s'agit d'un témoignage poignant écrit, ou plutôt tapé à la machine, narrant les vicissitudes de l'expéditeur et de ses proches sur vingt-trois pages en petits caractères, les mots les uns à la suite des autres, sans interligne, et qu'il faut déchiffrer avec une règle à la main, ou presque. Rédigé entre le 24 novembre 1940 et le 1er janvier 1945, l'expéditeur, Léopold Turgot, originaire de Saint-Pierre et Miquelon, narre les pérégrinations qui le conduisent, lui et sa famille, de Brest et l'arrivée des Allemands dans la ville portuaire jusqu'à la Libération du Huelgoat, et les conditions de vie durant l'occupation. Une lettre qui aura beaucoup voyagé, de Brest à Saint-Pierre et Miquelon, retrouvée dans les papiers familiaux quelques trente années plus tard puis retransmise en Bretagne et atterrissant enfin au domicile d'Hervé Jaouen, apparenté par sa femme à l'expéditeur. Léopold narre la vie quotidienne lors de son arrivée à Brest, les premières difficultés de ravitaillement tandis que les avions allemands bombardent la ville et qu'il a dû quitter Déolen le 17 juin 1940 au matin afin de rejoindre Saint-Pierre-Quilbignon en catastrophe, tous les tracas subit par de nombreuses familles en perdition. Pourtant Léopold Turgot ne se plaint pas. Il travaillait au Cable et il se retrouve sans emploi, vivant dans une ferme accueillante. Emmanuel (son frère) et moi sommes sans emploi, mais nous ne nous plaignons pas car il en est de plus malheureux que nous. Il faut boucher les fenêtres avec du carton, et pour pallier le manque de beurre (en Bretagne !) il ramasse des mûres pour les confitures. Les mois passent, et le 23 mars 1941 Léopold écrit : Le gaz a fait sa réapparition à Brest. Mais ce n'est pas encore le cas dans les villages environnants, et il faut se débrouiller autrement. La solution reste le charbon pour la cuisson des aliments, une distribution de deux sacs de cinquante kilos. Ce n'est guère et il faut économiser. Avec le poussier au fond des sacs, j'ai moulé des pâtés dans de vieux journaux. Ils macèrent dans l'eau pendant quelque temps, et une fois secs nous donnent des petits briquettes qui permettent de faire durer le charbon. En mai 1944, alors que le débarquement est proche, les Allemands sont sur les dents. Notre curé a été arrêté une deuxième fois et enfermé à Brest pendant un mois. A son retour, il nous a un peu décrit le régime des prisons allemandes. On ne peut pas se faire à l'idée qu'il existe encore de tels sauvages. Je ne puis pas vous raconter ici les actes de barbarie exercés sur les civils, cela n'en finirait plus. Beaucoup de pudeur de la part du narrateur, tout comme ceux qui ont vécu cette période trouble, qui ne se vantaient pas, gardant pour eux la plupart du temps les misères endurées, sauf bien entendu les résistants de la dernière heure qui voulaient cacher leur collusion par des actes de bravoure fictifs et des histoires inventées de toute pièce.
Dans un long, tout est relatif, mais fort utile prologue, Hervé Jaouen nous présente les pérégrinations de cette missive et les tribulations des membres de sa famille par alliance. Famille qu'il a déjà eu le plaisir de mettre en scène dans L'Adieu aux îles. Et il fait œuvre pie en publiant ce texte, en permettant de découvrir le quotidien d'un homme et de sa famille pendant la guerre. Un homme qui a rédigé ce texte destiné à ses proches avec pour seule ambition de décrire ce qu'il voyait, ressentait, sans emphase, sans vouloir se montrer historien, simplement un témoin. De nombreuses photographies complètent ce témoignage, dont trente-trois dans un encart, qui montrent les représentants de la famille à Saint-Pierre et Miquelon, quelques ruines brestoises et l'arrivée des Américains. Un livre tout en pudeur à lire avec attendrissement, en pensant que vos parents, grands-parents, ou autres membres de votre famille, ont peut-être vécu les mêmes drames, les mêmes petites joies ou grandes douleurs, mais sans en parler ou avec réserve.
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