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AHMED KHALED TOWFIK |
UtopiaAux éditions OMBRES NOIRESVisitez leur site |
1246Lectures depuisLe samedi 11 Mai 2013
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Une lecture de |
En 2023, l’Égypte se compose de deux groupes sociaux très éloignés. Au Caire et dans ses faubourgs, la plus grande partie de la population vit misérablement. Électricité, eau propre et tous signes de confort ont disparu. Les véhicules ne circulent plus guère, car le pétrole a été remplacé par le pyrol, carburant dont les pauvres ne disposent pas. Sans emploi fixe, on survit dans la crasse. Trafics de mauvais produits, prostitution, bandes violentes, le pays est livré à lui-même. Quelques-uns sont employés par les riches, tels des esclaves. À l'opposé, les nantis vivent désormais à l'abri, dans des colonies sécurisées par d'anciens soldats américains. C'est à Utopia, ville fortifiée située sur la côte nord du pays, qu'habitent les plus fortunés des Égyptiens. Ils n'ont aucun contact avec les Autres, ce peuple dont ils se méfient. Ces nababs se sont affranchis de toute religiosité. Formant une Fédération, ils se considèrent comme une famille, celle de l'élite. Ici, les pères se sont enrichis dans le commerce de médicaments, d'acier, de viande, etc. Leurs enfants n'ont pas à se soucier de l'argent. Si les maîtres d'Utopia pratiquent une débauche discrète, leur progéniture se cache à peine pour abuser de la phlogistine, la plus explosive des drogues. Ces jeunes ont tout, ne mesurant pas l'esprit décadent qui les habite. Certains tentent une expérience, ressemblant à un rite de virilité. Il s'agit de sortir d'Utopia, d'aller capturer un Autre, puis d'organiser une chasse avec leur victime dans la colonie. Au pire, il faut ramener de cette expédition un trophée humain. Cette violence est “un exutoire à l'ennui” pour les enfants des Égyptiens aisés, une excitation devenant nécessaire. S'aventurer hors de la colonie n'est pas sans danger. Toutefois, ceux qui l'ont déjà fait téléphonèrent bien vite à leurs pères, afin qu'un hélicoptère vienne les rapatrier. Un jeune de seize ans, fils unique du “roi du médicament”, menant une vie sans limite, se dopant à la phlogistine, va tenter l'expérience. Il entraîne avec lui dans ce délire son amie Germinal. Adopter un aspect crasseux pour quitter Utopia et se fondre dans la miséreuse population qu'il méprise, ce n'est pas trop difficile. Ils s'attaquent à la hideuse prostituée Somaya, mais sont vite repérés. C'est grâce à l'intervention de Gaber qu'ils échappent à la foule, provisoirement. Habitant un taudis avec sa sœur Safeya, le borgne Gaber est un homme cultivé. Ce qui ne sert guère dans ce monde où le peuple est inconscient de sa déchéance. S'il a entrepris de protéger les deux jeunes d'Utopia, ce n'est pas pour l'argent. Gaber a une idée bien plus noble en tête... Roman noir d'anticipation, telle pourrait être la catégorie où classer cette fiction. Elle a été écrite avant les révoltes qui ont secoué en particulier l’Égypte. Sans doute annonçait-elle des mouvements populaires, mais le message va au-delà de ce qui s'est produit. Que la société égyptienne soit inégalitaire, on l'imagine aisément. Comme dans tant d'autres pays, le fossé se creuse de plus en plus profondément entre classes dirigeantes et peuple. Les classes moyennes, celles qui assurent le bon fonctionnement d'une nation, vont-elles s'appauvrir à ce point dans les dix ou quinze ans à venir ? C'est ce que suppose l'auteur. „Ÿ“Maintenant seulement, je comprends pourquoi nous nous sommes retranchés dans Utopia. Il n'y a plus rien dans ce monde que la misère, des visages faméliques et des yeux exorbités, affamés, sauvages. Il y a trente ans, ces gens avaient encore quelques droits, mais aujourd'hui, c'est de l'histoire ancienne.” Il est certain que ces havres réservés aux puissants, que de semblables ghettos de riches existent déjà, là-bas ou chez nous. Dans un avenir pas si lointain, la population continuera-t-elle à se résigner ? On peut supporter de vivre sans confort, “mais vivre sans rêve est insupportable” nous enseigne ici le borgne Gaber. Le rêve, c'est aussi garder son libre arbitre, son indépendance, sa volonté d'agir. Et la religion n'est assurément pas le remède aux maux d'une société, nous dit-il. C'est sous la forme d'un récit à deux voix, que nous est racontée cette histoire aux allures de fable. Une narration en cinq actes, entre le jeune chasseur d'Utopia et la proie, Gaber. La limpidité est volontaire, afin que le propos soit accessible. Sombre et forte intrigue, qui devrait inciter à la réflexion, partout dans le monde. Un roman remarquable. |