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BENOIT SEVERAC |
115Aux éditions LA MANUFACTURE DE LIVRESVisitez leur site |
391Lectures depuisLe mercredi 1 Novembre 2017
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Une lecture de |
Toulouse, de nos jours. À trente-neuf ans, Sergine Hollard est associée à Pierre et Mourad dans la clinique vétérinaire du quartier des Izards. Son projet actuel serait d’offrir des soins aux animaux des sans-abris. Si elle peut compter sur sa jeune protégée Samia, ses amis trouvent l’initiative généreuse, mais évidemment sans rentabilité. Tenace, Sergine contacte le Samu social, quelques associations locales venant en aide aux SDF. Y compris un réseau parallèle de travailleurs sociaux insatisfaits du suivi ordinaire de la population la plus pauvre. C’est dans une résidence pour personnes précaires qu’elle finit par dénicher un local légal, car elle ne veut pas qu’on l’accuse de concurrence déloyale. La première cliente qu’elle y reçoit pour son chien mourant est très agitée. Odile est une sans-abri vivant au sein du groupe de SDF dont le leader se fait appeler HK. Nathalie Decrest est chef de la BST-Nord, une brigade de police intervenant sur le terrain. Elle est mariée à un enseignant, dont les opinions concernant les marginaux et réfugiés sont un peu trop angéliques au goût de Nathalie. Car la délinquance et la criminalité, son équipe et elle y sont confrontés au quotidien. Outre les trafics habituels, des Albanais se sont installés depuis quelques temps, dirigeant un réseau de prostitution où les femmes n’ont pas leur mot à dire. Lors d’une opération policière visant un camp de Gitans, qui organisent des combats de coqs, on découvre deux Albanaises vivant cachées dans un container. Kaça et Hiésoré, avec son fils Adamat, ayant fui le gang de proxénètes, elles ont bénéficié de l’aide des Gitans. Certes, la police va les loger décemment, au risque qu’elles soient assez rapidement repérées par Eragim et son gang d’Albanais. Le nommé HK fait régner un semblant d’ordre dans le groupe de sans-abris sur lequel il a une certaine autorité. Mais des personnes telles qu’Odile ou Cyril, un autiste qui ne veut surtout pas aller en psychiatrie, sont difficiles à gérer. Sans oublier les sœurs jumelles appelées ici Charybde et Scylla, pouvant se montrer agressives. Il n’y a qu’envers Cyril qu’elles sont plus bienveillantes, l’accaparant peut-être trop selon l’avis des autres SDF, taisant son identité complète. Que le jeune autiste soit un Breton natif de Saint-Brieuc n’a pourtant guère d’importance. Quand Odile confie à Sergine ce qu’elle sait sur les jumelles, la vétérinaire va fouiner comme si souvent. Quant à Nathalie Decrest, s’attaquer au gang des Albanais – ayant sûrement des complicités locales – n’est pas une mission facile. Pour Hiésoré, Adamat, et Kaça, la situation n’augure pas d’un bel avenir… (Extrait) “La logique voudrait qu’ils fassent l’inverse : Ginesta, plus jeune, devrait les courser et Caujolle, parce qu’il a gardé son sang-froid et enregistré toute la scène, devrait prendre la radio pour décrire la situation au central; mais Ginesta est secoué et incapable de réagir. Alors, Caujolle lance ses cinquante ans sur le bitume. Chaque pas réveille une douleur à l’une ou l’autre de ses articulations, mais les filles en panique n’ont pas pensé à enlever leurs chaussures ; malgré sa surcharge pondérale, il les aura vite rattrapées… Surtout qu’il connaît le coin comme le fond de sa poche, alors qu’elles qu’elles ont dû arriver en France il y a quinze jours. À tous les coups, elles vont se réfugier dans un des nombreux entrepôts du chemin de Fondeyre, tous clos ou au fond d’une impasse. Ses prédictions s’avèrent correctes. Après une course-poursuite de cinq minutes, il laisse filer l’une des filles pour acculer l’autre.” On retrouve avec ce “115” le contexte toulousain du roman “Le Chien arabe” (réédité sous le titre “Trafics” chez Pocket), du même auteur. Un décor que Benoît Séverac connaît fort bien, et qu’il décrit au fil du récit. Certes, il y a la hideuse accumulation d’immeubles, où s’entassent des populations pauvres et où se développent des activités illicites. Mais pas seulement : “En suivant un axe nord-sud, plus on se rapproche du centre-ville, plus les rues se font coquettes. Pour commencer, on trouve les bordes de plain-pied, qui remontent aux beaux jours du maraîchage et de la violette de Toulouse. Puis vient le quartier des Minimes et ses maisons de brique rose à un étage. Une fois franchi le Canal du Midi, Toulouse perd ses airs de village et s’embourgeoise. C’est une des raisons pour lesquelles HK a installé sa petite troupe aux confins des Izards, dans la zone pavillonnaire modeste… Là on ne vous demande pas de démonter votre tente tous les soirs. Dans les quartiers plus chics, on vous donne la pièce pendant la journée, mais on vous envoie les flics à la nuit venue. On a trop peur que vous preniez racine.” Séverac s’intéresse ici à la clochardisation, à la marginalisation, dans l’agglomération de Toulouse. Pour montrer que derrière l’image du punk-à-chiens ou du sans-abri alcoolisé qui importune les passants, il y a de multiples parcours de vie différents. Certains SDF sont assez rapidement blindés pour affronter la rue et ses difficultés. Ils n’ont pas tout à fait lâché prise, ils raisonnent en fonction des circonstances. D’autres sont largués très tôt, parfois pour des questions mentales, ou simplement par dégoût du monde égoïste qui les environne. Avec leurs chiens, ils peuvent effrayer. On s’explique mal un "compagnonnage" entre le sans-abri et l’animal. Les associatifs qui leur viennent en aide gardent, sans nul doute, une bonne part de réalisme à leur égard. Éviter qu’ils sombrent, si c’est possible encore, mais résoudre tous leurs problèmes à leur place, bien sûr que non. La vétérinaire Sergine Hollard est altruiste. S’en tenir à son rôle purement médical, c’est trop lui demander. Mais agir peut provoquer des conséquences mal gérables. Brigadier-major de la police, Nathalie Decrest essaie de conserver une certaine humanité, malgré la violence ambiante. Toulouse n’étant effectivement pas une "ville tranquille", il est probable qu’y sévissent des gangs tels que celui que l’on nous présente. Sergine et Nathalie, deux femmes qui se complètent, bien qu’un fossé les sépare… Roman social, polar ou noir, ce sont là des étiquettes qui importent peu. Au-delà de la fiction, Benoît Séverac nous parle de facettes méconnues du monde actuel et de ses dysfonctionnements. Un témoignage autant qu’un roman. |
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