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HERVE SARD |
Ainsi Fut-ilAux éditions ATELIER MOSESUVisitez leur site |
1891Lectures depuisLe mercredi 21 Fevrier 2013
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Une lecture de |
Ce n’est pas parce qu’on est bègue qu’on n’a rien à dire ! Heureusement que ce n’est pas Luc Mandoline qui règle la note de téléphone, car son budget prévisionnel sur les dépenses de fonctionnement serait largement amputé. L’appel téléphonique émane d’Alain Corby, secrétaire particulier, qui requiert ses services suite à un décès particulier. Afin de posséder tous les éléments, sans qu’ils soient en double, sur son intervention, Mandoline demande au bègue de lui transmettre par mail ses desideratas. Monsieur Hubert-Louis de Six-Fours, quasiment centenaire, a eu la douleur (hum !) de perdre son petit-fils Jean-Baptiste, qui approchait de la trentaine mais ne la connaitra jamais. Luc Mandoline, thanatopracteur réputé pour sa dextérité, son amour du travail bien fait, sa discrétion, est toutefois intrigué par la teneur du mail dont en voici quelques extraits consignés sur l’agenda du thanatopracteur : Cause supposée de la mort : Hémorragie consécutive à l’arrachement des membres suite à écartèlement par quatre chevaux. Cause officielle de la mort : Naturelle, sans OML (obstacle médicolégal). Constat de décès établi par le docteur Malo (prénom non noté), médecin de famille. Détail supplémentaire, mais non des moindres, les frais sont entièrement à la charge de Six-Fours, accessoirement l’achat d’un costume de cérémonie neuf. Notre ami, dans la vie, est réceptionné en la gare de Nantes par Corby, toujours hésitant oralement, puis direction le château. Les conditions de travail ne sont guère adéquates mais tant pis, faut faire avec. Le défunt a été déposé sur une table de bois disposée dans un box d’écurie. La température ambiante étant de 20° environ, le cadavre risque de se décomposer sous peu. Et puis il y a accroché sur son torse cette pancarte sur laquelle est inscrit le mot Ravaillac. Bizarre. Malgré tout Luc Mandoline s’attelle au boulot. Il lui faut recoudre les deux membres supérieurs, et une jambe. Ils y sont allés un peu fort les bourrins, car cela ne se détache pas comme une simple traction sur une feuille perforée. Son labeur terminé, presque car il doit rédiger puis déclamer un petit discours lors de la cérémonie funéraire, Luc participe au repas qui heureusement est servi au château. Y participent, François Ferdinand, le père de Jean-Baptiste, le docteur Malo, un familier qui semble n’avoir comme patient que la famille Six-Fours, le secrétaire. Ils sont servis par mademoiselle Lacaille, qui n’est pas un perdreau de l’année comme on a l’habitude de dire (ce qui entre nous est un pléonasme un perdreau étant une jeune perdrix, mais bon, continuons), laquelle s’ingénie un peu plus tard à faire comprendre à Luc qu’elle aimerait bien lui réchauffer les pieds le cas échéant en partageant le même lit. Mais Mandoline ne joue pas sur ce terrain là. Toutefois il en apprend de belles sur le défunt. Du moins des confirmations, car Hubert-Louis n’avait pas pris de gants pour qualifier son petit-fils de bon-à-rien, de prétentieux et de béni-oui-oui, et même de fils de péripatéticienne (oui, il m’arrive de choisir mes mots et de me montrer poli). Jean-Baptiste était à la tête d’une petite bande de fils de parvenus, bande dénommée Les Chevaliers, et était un benêt, mais son père François-Ferdinand ne semble guère mieux loti. D’autres personnages vivent au château ou dans les alentours. Le père Viala, et sa femme, l’un jardinier, l’autre cuisinière. Gilles-Gilles, aussi dix-huit ans sur l’acte-civil mais six mentalement. Et enfin, remplaçant le jardinier lorsque celui-ci est amené à voyager, Valli et Clara, deux lesbiennes qui travaillent dans un cirque comme catcheuses. Que du beau monde qu’Hubert-Louis Six-Fours, le grand-père quasi centenaire mais alerte comme un étalon, méprise quelque peu. Au fait avez-vous remarqué que les lettres des prénoms Valli et Clara étaient l’anagramme de Ravaillac ? Mandoline requiert les services de renseignements habituels, c’est-à-dire ses amis Maxime, Elisa ou encore Franck Sauvage. Et il apparait que les femmes n’ont guère de chance dans cette famille. Deux ou trois n’ont pas survécu à des chutes de cheval. Hubert-Louis Six-Fours, d’origine provençale, et communiste dans sa jeunesse, s’est forgé un empire immobilier grâce à une fortune gagnée selon des modalités que lui seul connait. Il a acheté des châteaux, est devenu royaliste tout en professant des idées écologiques. Il est à lui seul le drapeau italien : Vert, blanc, rouge, ou l’inverse, cela dépend du sens où on le regarde. Alors au cours de ses discussions ou plutôt de ses monologues avec Mandoline, il digresse. Beaucoup. Sur l’Etat, et tous ceux qui le représente, sur le royalisme et la monarchie. Il possède ses idées, en observateur avisé pas toujours objectif du monde moderne. Et pourtant qui pourrait avouer qu’il a tort lorsqu’il énonce : Ce ne sont pas les revenus qu’il faut taxer, ce sont les dépenses inutiles ! Ce ne sont pas les immigrés qu’il faut chasser, ce sont les ministres, les curés et leurs collègues bonimenteurs. Ou encore : Il y a bien longtemps que l’état ne décide plus de rien ! De rien ! Le pouvoir est aux mains des entreprises. Des multinationales, dirigées par des pantins que les gros actionnaires éjectent quand ils le veulent. Il y aurait peut-être même un petit côté anar dans son drapeau italien. Un petit livre (petit par la forme et le nombre de pages), mais réjouissant en diable dont la sortie coïncide presque avec un mini scandale hippophagique, puisque des cheveux tiennent un rôle prépondérant dans l’histoire. A déguster sans arrière pensée.
À défaut d'être devenu médecin légiste comme il l'eût souhaité, Luc Mandoline est thanatopracteur, métier consistant à préparer les défunts. Les aléas de sa vie firent qu'il s’engagea dans la Légion étrangère pendant huit ans. Se liant d’amitié avec le légionnaire Sullivan, Luc a découvert la thanatopraxie. Ensuite, il se lance dans cette profession d'embaumeur. Le besoin de remplaçants se faisant sentir partout en France, il exerce son métier de façon itinérante. Un décès peut être entouré de certaines étrangetés. Bien qu'il ne soit pas enquêteur, Luc Mandoline est impliqué souvent dans des affaires énigmatiques. Cette fois, l'Embaumeur prend la direction de la région nantaise. C'est dans un château des rives de l'Erdre qu'on a besoin de ses services. Jean-Baptiste de Six-Fours, petit-fils du châtelain, a été retrouvé démembré, écartelé par quatre chevaux. On n'a pas averti la maréchaussée pour si peu. Le docteur Malo, médecin de famille, a considéré que c'était une mort naturelle. François-Ferdinand, le père de la victime, un homme intelligent autant qu'insignifiant, n'est pas de ceux qui contesteraient cette conclusion. Le seul véritable maître des lieux, c'est Hubert-Louis de Six-Fours. Une force de la nature, bien qu'il soit âgé de quatre-vingt-dix-huit ans. Physiquement et mentalement, le patriarche reste en pleine forme. Il continue à gérer ses multiples affaires, tous les projets qu'il a initiés à travers le monde entier. Très riche, il l'est devenu grâce à ses seuls mérites, car il naquit dans la pauvreté et sans particule accolé à son patronyme. Quand un homme tel que lui se construit ainsi, ça ne va pas sans contradictions. C'est ainsi qu'il est royaliste, tendance écologiste et communiste, anti-clérical, mais bienveillant envers la plupart des gens, sauf les crétins. Justement, son petit-fils Jean-Baptiste était un de ces nuls qu'il ne respecte pas. Claquer du fric et accumuler les conneries, voilà tout ce qu'il savait faire. Néanmoins, ce n'était pas une raison pour l'exécuter ainsi, en laissant pour signature “Ravaillac”. Donc, l'aïeul si véloce charge Luc Mandoline de faire la vérité sur le décès de son imbécile de petit-fils. Des suspects, l'Embaumeur pourrait en dresser une sacrée liste. Sans doute pas le grand-père, ni le médecin, encore que sait-on jamais. Pas non plus le jardinier Bernardo (comme le valet de Zorro), puisqu'il était absent à ce moment-là, mais c'est quand même lui qui a trouvé le cadavre. Que penser des catcheuses homosexuelles Clara et Vali, du Royal Pajot Circus ? La force physique de tuer un homme ne manquerait pas à ces deux-là. Pourtant Luc Mandoline aurait tendance à leur faire confiance. Quoique, un anagramme peut les désigner. C'est avec plaisir que l'Embaumeur et son acolyte Sauvage bousculent les Chevaliers du Renouveau, cercle de détestables royalistes friqués. Et puis, il y a aussi un môme qui a été conçu sur un malentendu, dans ces parages. Il ne reste plus à Luc qu'à faire le tri dans tout ce beau monde... Luc Mandoline est le héros d'une série façon Le Poulpe, où chaque roman est dû à un auteur différent. Les éléments biographiques (la “bible”) du héros sont identiques, quant au contexte général. Par contre, chacun de ceux qui racontent ses aventures se doit d'y apporter sa manière personnelle. On a pu vérifier que c'était bien le cas avec l'épisode signé Stéphane Pajot. Pour sa part, Hervé Sard nous présente une comédie policière de bon aloi. Roman d'enquête, oui bien sûr, y a de ça. Mais l'Embaumeur n'est pas le cousin de Sherlock Holmes, d'Hercule Poirot, ni même de Jules Maigret. C'est une très belle galerie de singuliers personnages qui sont dessinés. Improbables ou excentriques, en effet. Pourquoi rester dans le pur réalisme alors qu'on peut s'amuser en caricaturant ? “Je sais, ça faisait un peu Belmondo comme entrée en scène, mais je suis fan. Les obsédés de la couronne me regardèrent d'un air qui gêné, qui apeuré, qui interloqué ou qui outré. J'ai pensé qu'ils devraient faire du théâtre. J'ai surtout pensé qu'ils avaient dû recevoir la visite des catcheuses. La pièce était sens dessus dessous. Et davantage dessous que dessus. Elles avaient tout démoli.” On l'aura compris, il s'agit autant d'un souriant roman d'action, d'un délicieux divertissement. Qui, outre quelques digressions, ne néglige pas le suspense. Une excellente “lecture détente”. |
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