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PABLO SANCHEZ |
Les Damnés Du Back-officeAux éditions ACTES SUDVisitez leur site |
518Lectures depuisLe jeudi 22 Juin 2012
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Une lecture de |
Si César évolue dans le monde de la finance de l’Espagne actuelle, ce n’est pas à cause de l’appât du gain. Philosophe de formation, ce sont les stratégies faisant bouger ce milieu qui l’excitent. Sympathiser avec un conseiller atypique tel que Marcos Muñoz surnommé l’Anarchiste, aussi cultivé que lui, ça permet d’avoir un regard distancié sur le pouvoir et le rôle de l’argent. Exemple, le jeu de Marcos qui fait vendre et revendre un objet inutile, tout en gagnant de jolies sommes. Et puis, pas plus que César, Marcos n’est pas fasciné par leurs patrons respectifs. Le sien, Barrios, chef de la Fondation, est loin d’être admirable. Lezama, qui dirige la banque Trántor, le mentor de César, a eu naguère des ambitions politiques mais manquait encore de poids. Aujourd’hui, ses manipulations auprès des organismes internationaux restent mal compréhensibles. César est prudent à son égard. L’agence Trántor de Barcelone est en crise. Avec ses onze employés, ce n’est pas la plus importante du groupe. Pourtant, question d’image, il faut vite y remédier. Lezama demande à César de remplacer là-bas Carvajal, le directeur dépassé par la situation. Le jeune cadre est conscient que ça va compliquer davantage ses rapports avec Eugenia, son épouse. Le cas de leur fils manquant, Jan, a creusé un fossé dans leur couple. Néanmoins, c’est bien ce genre de mission que César se sent capable de réussir. Certes, au téléphone, Carvajal se montre pessimiste. Une mauvaise ambiance règne dans l’agence de Barcelone. Celle qui aurait déclenché la sinistrose serait Yolanda Llorens, devenue folle, internée depuis. L’examen des CV montre à César qu’existe également un vrai problème de compétences. Sa capacité d’analyse sociale devrait lui offrir les bonnes solutions. En arrivant dans la capitale catalane, César a déjà décidé d’agir comme Johan Cruyff. Le mythique entraîneur du Barça a su gérer cette équipe de foot afin d’en faire une des meilleures, César compte s’en inspirer. Aussitôt en place, assisté du comptable Alfredo, il licencie Betriu, le maillon faible de l’agence. Il serait logique qu’il évince aussi Sara, qui était l’amie de la folle Yolanda, dont l’ombre maléfique plane toujours sur l’agence. César a compris que Sara est intelligente, avec un fort potentiel mal exploité. Elle peut devenir son meilleur atout. Durant les quatre premiers mois, César poursuit ses ajustements. Non sans contrariétés persos, car Eugenia est devenue intime avec son collègue détesté Francesco. Si la situation de l’agence semble stabilisée, César doit lutter pour éviter l’échec final… Il s’agit évidemment plutôt d’un roman sociologique que d’un pur polar. Pourtant, on pourrait y voir une illustration du milieu de la “criminalité en col blanc”, aux activités financières masquées plus ou moins légales. Si cet univers est codifié, le respect des règles n’est que peu appliqué, comme l’ont prouvé des malversations et divers scandales autour des banques. Toutefois, l’auteur évite subtilement la démonstration caricaturale. Son héros, César, garde des repères philosophiques face à l’argent et au pouvoir. Et il pense avoir un talent psychologique : “Il faut savoir creuser avec dextérité dans l’écorce sociale (…) Je domine comme personne l’ingénierie sociale. Les entreprises sont pour moi des organismes transparents et jusqu’à un certain point simples; je détecte très vite leurs failles, leurs traumas, les prothèses dont-elles ont besoin. Je n’ai aucun mal à découvrir les intérêts humains.” Insuffisant, car ce milieu est encore plus perverti qu’il ne le comprend. Son confrère Marcos Muñoz est, lui, un authentique cynique, au sens philosophique. Ce qui en fait un personnage marquant, pas du tout antipathique. Égratignant sévèrement le management, Pablo Sánchez nous raconte une histoire cruelle, ce qui la rend d’autant plus plausible. On n’est finalement pas très loin du roman noir, avec cet excellent titre. |