Dans les années 1880, la fête foraine de Neuilly est déjà traditionnelle. Parmi les saltimbanques animant cette foire colorée aux multiples attractions, le Vicomte est un des personnages notoires. Appelé Gringalet par ses amis, le jeune homme possédant quelque éducation ne se sent chez lui qu’au cœur de ce petit monde. Apprécié de tous, il a pour protégé un disgracié nommé Ficelle, un “phénomène de foire” venu d’Amérique. Sous le chapiteau des lutteurs, le Vicomte Gringalet joue parfois les comparses pour des combats arrangés. Ce jour-là, il s’efforce de gagner pour séduire la jeune et belle baronne de Givry, accompagnée de son amie Colette. Bien qu’elle soit l’épouse de sir Richard Pembroke, Éloïse de Givry lui fixe un rendez-vous nocturne dans une demeure isolée de Neuilly. Croyant aux présages, Ficelle craint pour son ami Gringalet. Il n’a pas tort, car il s’agit d’un traquenard organisé par le mari et sa maîtresse Colette. Aidé d’une bande de complices, sir Richard s’est même assuré le témoignage d’un policier. Le Vicomte arrive trop tard pour défendre Éloïse de Givry, avant d’être lui-même victime de graves violences. Ayant été maltraitée par son amant, Colette change de camp lorsque Ficelle et les amis lutteurs de la foire interviennent. Les forains retardent la police, tandis que Colette et le Guadeloupéen François conduisent Éloïse et Gringalet chez le Dr Duchateau. Ce médecin humaniste prodigue des premiers soins, mais n’est pas certain que le couple défiguré puisse survivre. Il est trop tôt pour alerter Maman, la mère du Vicomte, bien connue sur la foire de Neuilly. Dans le même temps, les lutteurs sont emprisonnés à l‘issue d‘une enquête bâclée. Malgré le témoignage favorable du policier témoin de l’affaire, ils écopent de cinq ans de prison. Sir Richard se félicite de la bonne tournure de l’opération qu’il avait imaginée. Cinq ans plus tard, le commissaire Frédéric Daumal éprouve une sympathie sincère pour les forains de Neuilly. En particulier pour le nommé Rodolphe, qui dirige un curieux Musée vivant. L’affaire criminelle dont Éloïse de Givry fut victime y est reconstituée parmi d’autres tableaux. Pour Colette et François, ainsi que pour les lutteurs forains libérés, l’heure de la vengeance approche. Un des complices de sir Richard a déjà été supprimé. L’Anglais prépare actuellement son nouveau mariage, avec Alice de Caylus. Moins attirante qu’Éloïse, mais aussi riche, cette jeune femme ne manque ni d’intelligence, ni de caractère. De son côté, le commissaire Daumal s’interroge sur Rodolphe, mais ne peut rien lui reprocher. Par contre, il comprend que les forains ont des comptes à régler. Le Dr Duchateau et Maman, Colette et François ainsi que Ficelle, tous ont une revanche à prendre contre un adversaire paraissant encore intouchable… L’univers forain existe toujours, aujourd’hui obligé de présenter des attractions souvent démesurées pour faire frissonner les amateurs de foires. Au 19e siècle, ces petites villes éphémères jouent davantage sur l’illusion, l’inhabituel. Sur la rareté du spectaculaire et, surtout, des loisirs. Aller à la fête, c’est l’exception, pour le bourgeois comme pour l’ouvrier. Si tous espèrent gagner aux loteries, ils acceptent avec bonne humeur les trucages et facéties de ce moment sortant de l’ordinaire. L’auteur nous offre une belle évocation de ce contexte, y compris de l’indispensable solidarité foraine. L’intrigue est évidemment un hommage à ces remarquables romanciers populaires de l’époque que furent Eugène Sue (Les mystères de Paris) ou Paul Féval (Les habits noirs, Le Bossu). Il est fait ici allusion à quelques grands précurseurs de la littérature policière. Le mystère ne réside pas dans l’identité du coupable. Ce sont les comportements énigmatiques et les évènements criminels qui alimentent l’ambiance et le suspense. L’occasion nous est également donnée de croiser des personnages hautement insolites, et d’autres qui ne manquent pas d’humanisme. On rencontre même le criminologue Alphonse Bertillon, fondateur de l’anthropométrie judiciaire. On s’offre un voyage dans le temps grâce à ce polar historique très excitant.
Une autre lecture duLa Ville éphémèrede PAUL MAUGENDRE |
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La fête à Neu-Neu, dont vous avez sûrement entendu parler, n’était pas une distraction destinée à rendre hommage à quelqu’un de naïf, de simplet, mais la contraction du nom du lieu où elle se déroulait, c'est-à-dire Neuilly sur Seine. Créée par décret impérial par Napoléon 1er en 1815, elle a changé de nom en 2008, et devint foire d’automne ou fête du Bois de Boulogne, mais elle a repris son ancienne dénomination en 2010. Donc il ne faudrait pas accroire qu’il n’y avait pas de simplets à Neuilly sur Seine, ou si peu. Elle se déroulait, à l’époque qui nous intéresse, de la fin juin jusqu’à début juillet, pour trois semaines. Il était une fois… Les contes commencent toujours ainsi, n’est-ce pas ? Il était une fois, donc, un comte qui ruiné s’était vu contraint d’assurer sa subsistance en devenant militaire. Mais son éducation défaillante ne lui permit point d’obtenir les épaulettes décernées lors d’un passage à un grade supérieur, et il végéta. Afin d’aider un sien ami, il accepta contre bon et bel argent sonnant et trébuchant, faut pas se voiler la face non plus ce n’était pas un pur altruiste, il accepta de donner son nom à un enfant né des amours illégitimes d’un noble et d’une bouquetière. En ce temps-là, un enfant illégitime n’avait quasiment pas d’existence reconnue et notre comte-soldat devint un père putatif. L’engrenage étant lancé, il se trouva pourvu de près de trois-cents enfants, qu’il n’éleva point. C’est ainsi qu’une foraine, lui mit le marché en main, offrant le double de la somme qu’il demandait lors de ses bons offices, et que Gringalet eut un père officiel. L’honneur était sauf. Gringalet devint un beau jeune homme et tandis que sa mère tournait la roue de la fortune il apprit tous les métiers des banques, c’est-à-dire des métiers forains, et trouva sa voie comme comparse dans un stand de lutteurs. Les combats étaient truqués, bien évidemment, et le vainqueur était désigné par le patron selon les paris engagés par les spectateurs. Ce jour-là de l’année 1880, Gringalet, qui était surnommé également le Vicomte, devait affronter comme à son habitude l’un des lutteurs, des saltimbanques musclés ayant pour nom Germain l’Alsacien, René l’Ours de l’Oural, Ambroise, Gino le Sicilien ou encore Bamboula, de son vrai patronyme François-Egalité, originaire de la Guadeloupe. Pourtant Ficelle, l’homme-momie qui avait fait les beaux jours d’un cirque américain, ne présage rien de bon de ce combat. Il a vu les bisons charger, signe de malheur imminent. Les bisons en question ne sont que les nuages qui défilent dans le ciel, mais il est hors de question de remettre les idées de Ficelle à l’endroit. Nonobstant les prédictions de Ficelle, qui est atteint de céphalées récurrentes, Gringalet, qui ne l’est plus et appelons-le donc par son surnom du Vicomte, le Vicomte avant d’entamer son combat est attiré par les beaux yeux d’une charmante branque, une spectatrice. Elle est escortée d’une dame de compagnie, non moins charmante mais pas autant aux yeux du Vicomte. C’est le coup de foudre immédiat mais qui va être suivi d’un coup de tonnerre. Le combat tourne à l’avantage du Vicomte et lorsque celui-ci recueille les sommes misées, un petit papier est glissé dans la sébile. Eloïse de Givry, une baronne fortunée, lui donne rendez-vous dans une demeure sise dans un endroit à l’écart de toute habitation. Elle est mariée à Sir Richard Pembroke, un Anglais dispendieux qui a dilapidé son héritage. Le Vicomte fonce tête baissée dans ce qui ce révèle être un guet-apens soigneusement aménagé. Il est reçu par Colette, la dame de compagnie, laquelle l’introduit dans l’antichambre, lui demandant de se préparer pour rencontrer Eloïse. Entrant dans la chambre il distingue sa belle allongée sur son lit, le visage ensanglanté, battue à mort. Sir Richard qui se tenait non loin fait irruption avec deux hommes de main et le Vicomte subit le même sort que sa belle. Puis Sir Richard « découvre » le théâtre sanglant de sa double tentative de meurtre assisté de comparses et d’un témoin innocent qui ne se doute pas qu’il est entraîné à son insu dans un traquenard. Ce témoin n’est autre que Daumal, un policier qui va servir de caution, qui deviendra quelques années plus tard commissaire à Neuilly. Sir Richard va pouvoir jouir de la fortune de sa femme, en toute impunité, enfin c’est ce qu’il espère car les corps pantelants, sanguinolents, meurtris, brisés, défigurés d’Eloïse et du Vicomte ont disparu. Cinq ans plus tard, la fête à Neu-Neu bat son plein et Rodolphe sert de guide improvisé à son ami Daumal et à Alphonse Bertillon, lequel est désireux de découvrir une baraque foraine tenue par Thomas Brown, un Anglais qui d’après l’étude d’un de ses compatriotes, Henry Faulds, lequel avait repris des travaux de sir Francis Galton, se faisait fort d’identifier un individu grâce à ses empreintes digitales. Ce qui énerve passablement le digne rejeton d’une grande lignée de scientifiques, lui qui ne voit que par son invention : l’anthropométrie judiciaire, connue aussi sous le nom de bertillonnage. Rodolphe quant à lui dirige un Musée vivant dont l’une des attractions est la reconstitution de la scène du meurtre de la Baronne de Givry et du Vicomte. Je me garderai fort d’aller plus loin dans cette histoire à rebondissements multiples et variés afin de ne point trop déflorer cette intrigue rocambolesque et savamment maîtrisée. Il est évident que l’auteur, Alexandre Suval, a été nourri au sein inépuisable des feuilletonistes du XIXème siècle, qu’ils aient pour nom Alexandre Dumas, Eugène Sue, Hector Malot, Théophile Gautier, Xavier de Montépin, Paul Féval (père et fils), Raphaël Sabatini et quelques autres dont je vous épargnerai le listage complet, ceci risquant de trop en dévoiler et d’être fastidieux aussi bien pour vous que pour le scripteur. Je me bornerai donc à évoquer Dumas avec le Comte de Monte-Cristo pour des raisons évidentes qui ne vous échapperont pas et dont je n’ai point besoin de détailler ici les ressorts, Eugène Sue avec ses Mystères de Paris pour la reconstitution d’un Paris pas encore tout à fait défiguré aujourd’hui, l’opposition entre le clinquant de Neuilly-sur-Seine (déjà !) et les bas-fonds gîtant autour de la rue Quincampoix, une rue qui longe le boulevard Sébastopol et qui part de la rue aux Ours pour finir en impasse près de la rue des Lombards après avoir coupé les rues Rambuteau et Aubry le Boucher, ces précisions étant destinées aux touristes désireux de parcourir la capitale en sortant des itinéraires et des chemins battus. Reprenons avec Eugène Sue puisque l’un des personnages de ce roman se prénomme Rodolphe comme le héros des Mystères de Paris. Mais on peut aussi évoquer les figures du Capitaine Fracasse de Théophile Gautier, du Scaramouche de Raphael Sabatini, Les filles du saltimbanque de Xavier de Montépin, voire du Vitalis héros éphémère d’Hector Malot dans Sans famille. Mais n’allez pas croire qu’Alexandre Suval s’est contenté de puiser dans ses souvenirs, au contraire, il s’appuie sur ces ouvrages de référence pour construire une intrigue personnelle, comme un hommage révérencieux et inédit. Il possède une écriture élégante mais dénuée d’emphase, il ne se perd pas en vaines digressions et tous ses personnages ne sont pas des protagonistes qui arrivent comme un cheveu sur la soupe et disparaissent sans qu’on sache très bien pourquoi ils traversent l’histoire. Non, tout est minutieusement pesé, élaboré, narré et l’on arrive presqu’à regretter que ce roman ne fasse que 370 pages. Mais gageons que l’auteur a gardé quelques cartes sous le coude et qu’il va bientôt nous les présenter dans un tour de passe-passe au bonneteau, mais sans l’escroquerie qui accompagne ce soi-disant jeu de hasard et ne relève que de l’ordre de la prestidigitation. Et l’on apprend par la même occasion qu’elle ait l’origine de l’expression du Clou du spectacle. Le nom de l’auteur, probablement un pseudonyme, sent lui-même un petit air de feuilletoniste ou représentant du XIXème siècle : Alexandre comme Alexandre Dumas, Su comme Eugène Sue, Val comme Jules Vallès qui est évoqué à plusieurs reprises. Et comme l’histoire a tendance à se répéter, n’hésitons pas vous livrer ce passage qui nous ramène à une actualité encore chaude : Pour l’heure, les discussions tournaient essentiellement autour des déclarations à la Chambre de monsieur Jules Ferry au sujet des droits des « races supérieures » sur les « races inférieures.
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