Ce Québécois de trente-cinq ans est commerçant, patron d’un magasin de sport. Marié avec Judith, ils ont deux enfants, Béatrice et Alexis. Eux trois ont passé le week-end chez les parents de son épouse. Ce 21 février au soir, ils vont rentrer en voiture. Ce sont deux flics à la mine attristée qui sonnent à sa porte peu de temps après un ultime appel téléphonique. La voiture de Judith est tombée dans un ravin dans ce virage étroit de cette saleté de route en zigzags, que sa famille a souvent empruntée. Ils sont morts tous les trois dans cet accident, sur lequel la police enquêtera, bien sûr. Se moquant des circonstances, sous le choc, il s’est déconnecté immédiatement de la vie. Les appels téléphoniques, la famille de Judith et la sienne, il n’y répond bientôt plus. C’est son beau-frère Jean-Marc qui se charge de toutes les formalités. Sylvain, son meilleur ami, peut lui offrir un refuge, au lieu de rester dans cette maison vide. La solitude, il la vit déjà dans sa chair. Sur son vélo d’entraînement, ce sportif pousse son effort au maximum. C’est suicidaire, mais ça ne suffit pas à l’achever. Il s’isole d’abord dans une chambre d’hôtel, avant de rejoindre ses proches et amis au salon funéraire. Suite à une réflexion qu’il juge stupide, il provoque un incident dont les effets auraient pu être graves. Plus tard, il retrouve Sylvain dans un bar. Il a déjà dépassé une frontière, ce que son meilleur ami n’est pas en mesure de comprendre. Dans ce bar, une jeune femme prénommée Mélanie se laisse inviter par le veuf. Elle n’a aucune intention de coucher avec lui, mais sait se montrer compatissante. Parce que, comme lui, elle est habitée d’une souffrance intime. Lui s’enferme dans son violent égoïsme. Nouvel incident, avec un automobiliste, suite à une collision en voiture. Ivre, il erre maintenant dans la ville, au cœur de la nuit. Dans un club, il provoque deux jeunes femmes, puis s’amuse à causer un psychodrame sans conséquences dans le métro. En rupture totale avec tous les membres de sa famille et avec ses amis, il finit par louer un meublé dans l’immeuble où habite Mélanie. Elle tente de l’amadouer en partageant un repas, avant de sortir en boite de nuit. Mais cette nuit-là, il va finalement la passer avec Andréane, bien plus jeune que lui. Débutant par un désaccord sexuel, leur querelle violente va fatalement mal se terminer. Mélanie ne renonce pas. Elle amène le veuf désemparé dans cette maison des jeunes en rénovation, une initiative du Père Léo. Il doute que le prêtre apporte un remède à sa terrible souffrance, malgré sa bienveillance. Il ne possède pas la motivation exaltée de Mélanie, reste irritable avec elle. Ses comptes bancaires ont été bloqués par sa famille, afin qu’il se manifeste. Maintenant qu’il a récupéré une arme à feu, il se lance délibérément dans une guerre suicidaire… Ce survol de l’intrigue ne reflète qu’imparfaitement ce remarquable roman. Car il est impossible de traduire en quelques lignes l’ambiance de cet itinéraire d’un enragé fou de douleur. Quand survient un tel drame, il n’y a pas de réponse au “Pourquoi ?” qui s’impose à l’esprit du survivant. Détruire les autres comme il a été soudainement détruit lui-même, telle parait être la solution adoptée par ce personnage central. Il ne s’agit pas de vengeance : c’est un mal profond et monstrueux qui a explosé en lui, qui commande ses actes. L’accident de voiture et ses conséquences, voilà un thème que quelques très bons romanciers ont déjà traité. Pas de cette manière-là, c’est certain. Ici, le mode narratif particulier surprend dans un premier temps. On comprend vite qu’il est parfaitement adapté au récit. C’est une fuite en avant désespérée, une course effrénée qui ne laisse pas le temps de reprendre son souffle. Ces qualités stylistiques offrent une puissance supplémentaire à l’histoire, le tempo reflétant l’état d’esprit du héros. La relative brièveté du texte correspond aussi à ce rythme. Précisons que Patrick Senécal, encore mal connu en France, est un auteur chevronné ayant publié une dizaine de titres. Ses solides romans, d’une réelle noirceur, sont très appréciés des lecteurs québécois. “Coup de cœur” évident pour cet excellent roman !
Une autre lecture duContre Dieude PAUL MAUGENDRE |
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Un appel téléphonique, des nouvelles de Judith et des enfants, tout va bien ils rentrent bientôt de leur voyage, tu peux reprendre ta petite occupation, regarder la télévision en attendant que la petite famille débarque, sauf que tu es dérangé par des coups frappés à la porte, deux policiers qui te demandent si Judith était ta femme et qui t’annoncent qu’elle s’est plantée dans un virage, tout le monde est mort, alors tu pars en vrille, tu te retrouve déboussolé, ton frère, ton ami Sylvain t’aident pour les démarches, te soutiennent, tu vas voir les petits corps à la maison funéraire, te recueillir peut-être, mais tu craques, tu rentres, tu pleures, ne t’occupes plus de ton magasin de sport, ne te laves plus, ne rases plus, que les autres éventuellement, tu divagues dans les rues, te comportes comme l’affreux Mister Bean dans le métro, pendant que les parents s’embrassent ne surveillant plus le landau du gamin, landau que tu pousses sur les quais alors que la rame démarre, cris des géniteurs, affolement, panique, descendre à la prochaine station et reprendre le train en sens inverse, alors que toi tu fais comme si de rien n’était, entres dans un bar, enfiles les bières les unes après les autres, remarques une jeune femme qui te dévisage, sourire un peu perdu, vous faites un peu connaissance, elle s’appelle Mélanie et elle aussi possède un lourd passé dont elle ne veut pas te parler, tu désertes ton appartement, oublies ta famille proche, tes amis, même Sylvain, et tu erres, entres dans un magasin, achètes des DVD que tu empiles dans un grand sac, puis tu les jettes du haut d’un pont sur les voitures qui passent, les boitiers s’écrasent sur la route, sur les toits des véhicules, mais cela n’apaise pas ta fureur, la neige tombe, tu prends ta voiture et tu continues ton périple à l’aveugle, prends un appartement dans le même immeuble que Mélanie, ton courroux te fais perdre la notion de la vie quotidienne, Mélanie t’emmènes chez une association qui retapes une maison qui a brûlé, ils sont plusieurs à repeindre, à refaire les boiseries, le prêtre qui dirige ce collectif de bénévoles est un vieux monsieur qui te propose de les aider, une thérapie qui devrait te permettre de te reconstruire, mais tu refuses tu continues à divaguer et à t’enfoncer encore un peu plus, aspiré comme dans un grand tourbillon qui te brasse, te fait perdre la tête, et tu bois, bières sur bières jusqu’au moment où tu dérailles complètement, n’es plus capable de te gérer et commets l’irréparable… Je n’ai pas l’habitude d’interpeller ainsi le visiteur, mais j’ai essayé de rendre le ton, la forme, le style de Patrick Senécal dans ce court roman qui décrit la déchéance d’un homme complètement désorienté, déstabilisé en apprenant la mort de sa femme et de ses deux enfants. Pris dans un engrenage infernal le « héros » de cette histoire forte, dense et intense, s’enfonce peu à peu dans le marécage de la dépression, ne se contrôle plus. Le narrateur s’adresse au lecteur comme si celui-ci était ce quidam qui subit ces tribulations qui vont le conduire en enfer. Un exercice de style qui ne déroute même pas tellement on est pris aux tripes, on ne fait plus attention que l’auteur te confie le premier rôle, on est partie prenante et l’on se demande comment vont se terminer nos pérégrinations dans la blancheur de la ville de Montréal, blancheur qui tranche avec la noirceur de l’ouvrage.
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