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CARLOS SALEM |
Nager Sans Se MouillerAux éditions ACTES N OIRS |
2679Lectures depuisLe samedi 30 Octobre 2010
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Une lecture de |
Sous une allure assez neutre, Juanito Pérez Pérez est cadre supérieur dans une multinationale. Quadragénaire divorcé d’avec Leticia, issue de la bourgeoisie, il voit peu sa fille Leti, 15 ans, et son fils Antoñito, 10 ans. Cet été, son ex-épouse ayant décidé de passer ses vacances avec son nouvel amant, Juanito va partir en camping avec ses enfants. Il craint un contretemps de dernière minute, mais ils se dirigent bientôt vers la région de Murcie. C’est dans un camping naturiste qu’il vont séjourner. À peine arrivés, Juanito et les enfants s’aperçoivent que leurs voisins sont Leticia et le juge Gaspar Beltrán, son nouveau compagnon. Juanito porte une grande admiration au courageux magistrat. Bien que Leticia reste très directive, ils doivent pouvoir se côtoyer sans heurt. Juanito ne tarde pas à tomber sous le charme de Yolanda, 27 ans, animatrice du camping. Une fougueuse liaison qui ne déplait pas à sa fille Leti. Juanito retrouve ici par hasard son copain de jeunesse Tony, accompagné de la glaciale Sofia. Gamins, ils rêvèrent jadis de devenir pirates. Borgne et handicapé d’une jambe, le gras Tony est aujourd’hui un riche inventeur. Des vacances ordinaires, en perspective. Le vrai visage de Juan Pérez Pérez est moins quelconque. Il est employé comme tueur à gages par un cartel appelé l’Entreprise. Cette activité criminelle l’a rendu riche. Chaperonné par le vieux Numéro 3, qui lui a beaucoup appris mais qu’il a dû finalement supprimer, Juan est le plus efficace des tueurs. Actuel Numéro 3, il ne dépend plus que du mystérieux Numéro 2. Ce dernier l’a envoyé dans le camping de Murcie, car s’y préparait une opération qui semble reportée. Juan s’interroge sur la cible prévue. Il est possible que ce soit Leticia, mais le juge Gaspar Beltrán compte bon nombre d’ennemis prêts à le faire assassiner. Suite à un problème avec un associé, son ami d’enfance Tony peut aussi bien être la victime désignée. Se souvenant des préceptes de son mentor, Juan n’accorde aucune confiance à la froide Sofia : “Elle a une allure de pute à petits seins, de celles dont se méfiait le vieux Numéro 3”. Ni à Sven, le beau maître-nageur. Juan sympathise avec un professeur retraité, auteur de romans policiers. Celui-ci l’invite même à découvrir la grotte secrète où il cultive son inspiration. Entre ses enfants, le romancier et Yolanda, Juan goûterait presque des vacances normales et agréables. L’arrivée au camping de Numéro Treize, à la réputation justifiée de tueur sadique, prouve à Juan que l’opération se poursuit. Il commence à penser que son propre entourage court un réel danger. Beaucoup trop de coïncidences, qui rendent suspects la plupart de ceux qu’il rencontre dans le camping. Nargué par Numéro Treize, Juan ne craint pas de l’affronter. Le romancier, auquel il a fait quelques confidences, imagine qu’il s’agit d’une “épreuve surprise” organisée par l’Entreprise. Numéro Treize est victime d’une mortelle piqûre d’araignée. Ce qui entraîne une enquête, menée par l’inspecteur Arregui. Vraiment atypique, le policier a déjà croisé Juan. Pourtant, ce n’est pas son pire adversaire… Voilà un résumé ne dévoilant qu’une infime partie de l’intrigue, juste des points de repère concernant cette histoire. Il faudrait évoquer aussi la relation entre Juan et le vieux Numéro 3, et de multiples autres détails. Le premier roman de cet auteur (“Aller simple”) était très inventif. Ce deuxième titre l’est tout autant. Peut-être davantage, car la narration est encore mieux maîtrisée, d’une fantaisie espiègle. Il nous a concocté un festival de péripéties souriantes et de situations incongrues, avec quelques habiles clins d’œil (dont le nom du romancier, ou celui allusif au juge Balthasar Garzon). Le héros ne se trompe pas sur la menace qui plane autour de lui. Reste à en connaître l’instigateur, ainsi que le rôle précis de chacun. Ce n’est que dans les vingt-cinq dernières pages que s’éclairent les mystères, que sont révélés les arcanes de l’affaire. En effet, si la tonalité est humoristique, le scénario s’avère extrêmement bien construit. Ce suspense diablement excitant, astucieux et fort amusant, confirme le talent inventif de Carlos Salem.
Tueur professionnel, c’est une profession qui rend paranoïaque. Forcément… Si en plus on souhaite faire croire à sa petite famille qu’on mène la vie peu palpitante d’un représentant en papier hygiénique, il faut ajouter à ses nombreuses aptitudes spécialisées celle de comédien. Pour Juan Pérez Pérez, la vocation de tireur d’élite remonte à sa prime jeunesse, née d’un tir raté ayant couté un oeil à son meilleur copain. La profession de tueur n’est venue qu’après, peut-être parce qu’en grandissant on doit abandonner les rêves de l’enfance et qu’il a compris qu’il ne serait jamais capitaine pirate. Donc, père divorcé depuis peu, le voici avec ses enfants pour trois semaines d’été. Mais « l’Entreprise » ne le lâche pas. Son employeur lui organise ses vacances de telle manière qu’une mission banale de surveillance, indigne de son rang de Numéro Trois, tourne très vite à un improbable cumul de coïncidences. Juanito comprend qu’il y a forcément un coup fourré. Dirigé contre lui ? « Ne te fie pas aux coïncidences ni aux putes à petits seins ». Conseil qui lui a été donné par le précédent « Numéro Trois » tueur expert, son mentor et ami, jusqu’au jour où il a fallu le tuer, lui aussi, sur les ordres de l’Entreprise. Et puis ce camp de naturiste où Pérez Pérez se trouve coincé, pas pratique, ni quand on tombe amoureux (pas besoin de vous faire un dessin, non ?) ni quand on se méfie assez pour éprouver le besoin de porter une arme. Car où la mettre ? La paranoïa du héros le conduit à se méfier de tous et tout le monde. Les aphorismes dont l’a gratifié Numéro Trois pendant leur longue amitié scandent le texte : « Sers toi d’abord de ta tête, puis de tes mains, et en dernier de tes couilles ». Les retournements de situation s’enchainent, les bons sont parfois finalement mauvais, les mauvais encore plus mauvais, les jolies filles, même nues, cachent beaucoup. Drôle et désabusé, burlesque et désespéré, ce roman se joue des genres. Carlos Salem se met en scène lui-même quand le personnage achète son roman dans une librairie, multiplie les clins d’œil pour lecteurs de polar dans les noms des personnages. Mais ses lignes esquissent aussi une mélancolie poignante, quant il fait le constat de la mort d’un mariage, ou qu’il s’interroge sur l’éternelle recherche de modèles paternels, jamais satisfaite. « Aller simple »son précédent roman, mettait déjà en scène cette mélancolie ; elle est la marque d’un désespoir dont l’élégance conduit à rire de tout, de la mort, des hommes que guide leur testostérone, mais pas de l’amour qu’on porte aux femmes, aux enfants, aux amis. Traduit de l'espagnol par Danielle SchrammLe roman a reçu le prix, bien mérité, Paris Noir 2010 21.8 €, 216 pages |
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