A quarante-deux ans, célibataire, ayant publié un essai sur Chateaubriand qui a reçu un bon accueil et projettant de récidiver en écrivant un ouvrage sur Surcouf, Sylvain, onze ans après sa mère vient de perdre son père Rémy. Instituteur en retraite, âgé de soixante-neuf ans et aîné d’une fratrie de cinq enfants, Rémy a été retrouvé mort contre un chalutier échoué sur la plage de Saint Valéry sur Somme, petit port de la côte picarde où il habitait. Un accident regrettable selon le journal local. Sauf que l’autopsie révèle que Rémy est décédé deux fois. La première fois, noyé dans de l’eau non salée. La seconde occasionnée par la rencontre inopinée de son crâne avec un objet contondant. Sylvain se demande qui pouvait en vouloir à son père et il n’a pas bien loin à chercher. Francis le frère cadet, agent immobilier, ne portait pas Rémy dans son cœur et les relations entre les deux hommes étaient plus que distendues. Un artiste peintre local a découvert le corps et il explique à Sylvain dans quelles conditions, précisant que souvent il prend en photos le paysage afin de continuer sa toile chez lui. Dans la vieille sacoche usée de son ex instituteur de père Sylvain trouve une somme significative en billets ainsi qu’un dossier concernant un bout de terrain hérité de son propre père et dont ses frères et sœurs ignoraient théoriquement l’existence. Une filature exercée par un inconnu, un détective privé qui s’avère être un familier de la famille et un généalogiste s’insèrent dans le paysage tandis qu’une tentative d’envoyer dans les décors la voiture de Rémy conduite par Sylvain, et la découverte de cahiers manuscrits des mémoires rédigés par son père et cachés sous le véhicule exacerbent le désir de celui-ci d’enquêter pour son propre compte sur la mort de son géniteur. Parallèlement le capitaine Hervé Leray, surnommé par ses subordonnés Capitaine Wolf, ou le Loup, s’attèle à la tâche car outre le meurtre de Rémy, s’ajoutent au compteur celui du peintre local puis quelques autres. Wolf, appelons-le ainsi, traîne derrière lui quelques casseroles, des erreurs, des bévues dont il n’est pas totalement innocent et qui ont brisé sa carrière, l’obligeant à démontrer ses talents dans ce qu’il considère comme un commissariat de province indigne de lui, lui qui rêvait de gloire parisienne. Et ses hommes en subissent moralement les conséquences, car Wolf ne se prive pas de déverser sur eux sa hargne, sa bile, ainsi que sur les témoins, les suspects et autres quidams qui se trouvent à sa portée. Il n’hésite pas à employer des moyens peu appropriés à sa fonction, piétinant allègrement les plates-bandes de la maréchaussée qui aurait pourtant son mot à dire dans l’enquête. Roland Sadaune nous propose un voyage insolite en Picardie, de Saint-Valéry à Amiens et Beauvais en passant par Abbeville et de petits villages comme Songeons dans un itinéraire plutôt chaotique, surtout pour les divers protagonistes, et lorsque le lecteur pense être en possession de tous les éléments et connaître le dénouement, l’auteur effectue un retournement de situation apportant de nouvelles pistes et un épilogue efficace même s’il a gardé pour lui quelques indices. Wolf, malgré ses défauts, sa hargne, sa propension à humilier, se montre humain sous la carapace qu’il s’est forgée et l’on se prend à ressentir une certaine sympathie envers cet homme balloté par son destin, parce qu’il croit en son métier, trop peut-être. Et contrairement à d’autres qui plongeraient dans la facilité, il ne se retranche pas derrière les boissons alcoolisées. Artiste peintre lui-même, Roland Sadaune joue avec les couleurs du ciel, des paysages, des habitations, des vêtements, tranchant entre couleurs vives et sombres. D’ailleurs souvent il place un peintre parmi les personnages qu’il utilise pour planter le décor et faire avancer l’enquête. Artiste qui aura une légère influence mais n’influera pas sur le bon déroulement de l’histoire et de l’enquête proposée. Et plus sa bibliographie s’épaissit, plus Roland Sadaune étoffe ses trames et à mon avis Le loup d’Abbeville est l’ouvrage le plus épais et le plus abouti qu’il ait écrit.
Une autre lecture duLe Loup D'abbevillede CLAUDE LE NOCHER |
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Écrivain quadragénaire, Sylvain Target est très marqué par le décès subit de son père Rémy, instituteur retraité âgé de 69 ans. Il s’est noyé en bordure du port de Saint-Valéry-sur-Somme. Sylvain s’interroge, tout autant que l’artiste peintre Martineau, qui a découvert le corps. Rémy ne fréquentait jamais la plage où on l’a trouvé. Il ne portait pas de veste, malgré la fraîcheur du petit matin. Ses vêtements sont secs, alors l’accès aux lieux l’aurait obligé à se mouiller à cause de la marée. En outre, la maison de l’ex-instituteur n’est pas fermée à clé. Sa commère de voisine a entendu des éclats de voix la veille au soir. Un message sur le répondeur téléphonique de Rémy Target émane d’un nommé Duquesne, que son fils Sylvain ne connaît pas. Agent immobilier arrogant, l’oncle Francis Target affiche de l’indifférence vis-à-vis de la mort de son frère aîné. Marin-pêcheur, l’oncle Gilbert Target se montre beaucoup plus amical avec son neveu. Sylvain rentre chez lui, à Abbeville, avec quelques documents appartenant à son père. Des cahiers de souvenirs, ainsi que le plan d’un terrain. Sylvain n’a jamais entendu parler de cette “parcelle fantôme” qu’il a du mal à situer précisément. Son logement ayant été visité, se sachant suivi en voiture, Sylvain sent planer une menace autour de lui. Le peintre Martineau est assassiné avant d’avoir pu rencontrer Sylvain, alors qu’il avait des photographies à lui confier. L’atypique policier Leray, qui a déjà auditionné Sylvain, est chargé de l’enquête. “47 ans, taille moyenne, il était vêtu d’un costume gris foncé, d’un polo noir et d’une parka gris clair. Le visage émacié, la courte brosse brune, les yeux anthracite et les lèvres minces justifiaient-ils ce surnom de Capitaine Wolf, attribué par il ne savait plus qui ni à quelle occasion ? Un loup célibataire qui ne fumait, ni ne buvait. Voire un loup blanc, avec un parcours rempli d’embûches…” Les policiers retrouvent les photos du peintre, ce qui les me sur la piste d’un 4x4 pick-up, véhicule que Sylvain a déjà remarqué lui aussi. Le type qui le prend en filature dans une voiture blanche n’est pas le plus dangereux. Il est au service de l’oncle Francis. Par contre, Sylvain est bientôt visé par un tir venant du 4x4 pick-up. Dans les cahiers de son père, il constate que Rémy s’intéressait à la généalogie. Ce qui est le métier de ce Duquesne, qui l’avait contacté. Sylvain ne découvre rien de nouveau sur l’énigmatique parcelle de terrain. Le policier Leray interroge les oncles de Sylvain. En particulier, le marin-pêcheur Gilbert, qui a possédé un 4x4 très semblable à celui recherché. Ce qui mène Leray chez un garagiste country agressif et peu honnête. Finalement, le policier obtient le nom du client ayant acquis le véhicule. On comptera encore quelques meurtres dans cette affaire, avant de savoir qui est le commanditaire, quelle est sa motivation… Voilà un polar “vrai de vrai” déployant ses mystères et ses péripéties, tandis qu’un assassin continue à éliminer les témoins gênants. L’ambiance sombre et tourmentée nous indique bien qu’il ne s’agit pas d’un ordinaire roman d’enquête. Le policier évolue dans la noirceur et sous la pluie, n’hésitant pas à bousculer quelques règles. Il doit outrepasser la confusion régnant dans cette affaire, et ne pas trop céder à une violente latente, afin d’arriver à faire la lumière. C’est une histoire criminelle idéalement maîtrisée que nous a concocté ici l’expérimenté Roland Sadaune. Bien dessinés, les personnages conservent des contours flous. La tension est dense, permanente. Et si l’on vous dit que c’est dans le 4e cahier de son père que Sylvain trouve l’explication, ça vous aide à comprendre ? Sans doute pas, puisque c’est tout le contexte de cette intrigue qui en fait la force. Encore un excellent suspense noir de ce prolifique auteur de talent.
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