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LUIS SEPULVEDA |
L’ombre De Ce Que Nous Avons étéAux éditions METAILIEVisitez leur site |
1046Lectures depuisLe mercredi 10 Fevrier 2010
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Une lecture de |
Il pleut fort sur Santiago au soir du 15 juillet. Dans cet entrepôt, le garage qu’exploitait jadis sa famille, Lucio Arancibia accueille deux amis d’autrefois, d’avant la dictature qui obligea ces militants à s’exiler. Bien que Lucio n’ait plus la tête aussi solide, à cause des mauvais traitements qu’il a subi, il garde les idées assez claires. Les trois sexagénaires ont repris contact via Internet, se fixant rendez-vous ici. Aujourd’hui doté d’une barbe blanche, Cacho Salinas déteste toujours les poulets, même cuits, tels ceux qu’il doit apporter. Le souvenir tragi-comique d’une désastreuse expérience dans l’élevage de poulets l’a marqué à vie. Il a passé ses années d’exil en Europe, avec sa femme Matilde, qui y vit toujours. Leur ami Lolo Garmendia arrive un peu plus tard. Il est devenu chauve durant son séjour en Roumanie, dans la démocratie surveillée de Nicolae et Elena Ceausescu. Il a finalement réussi à s’enfuir en Yougoslavie, le pays de Tito étant légèrement plus vivable. Ils attendent un quatrième homme, le Spécialiste. Car il ne s’agit pas d’une simple réunion de nostalgiques d’Allende et du communisme à la Chilienne. Il vont mener une action concrète. L’obsession cinéphilique de Coco Aravena, qui préfère louer des films que de payer le loyer, agace terriblement sa compagne Concepción García. Elle regrette amèrement leur vie en Allemagne, loin de ce pays maudit, là où tout lui semblait plus facile. Furieuse, Concepción balance par la fenêtre le vieux tourne-disque de Coco Aravena. Dans sa chute, l’appareil “fut freiné par la tête d’un type qui, disposant de toute la ville pour se déplacer, avait choisi cette rue, cette nuit de pluie et cet instant de fatalité verticale.” Coco Araneva ne peut que constater la mort de cet individu âgé. Comme le défunt porte un revolver, il en déduit que ce peut être un policier. Avec sa compagne, il s’invente un alibi, se laissant quelque peu déborder par son imaginaire d’amateur de cinéma. Cette affaire va concerner le vieil inspecteur Crespo et sa jeune adjointe Adelita Bobadilla, “fière d’appartenir à la première génération de policiers aux mains propres.” Quand le duo interroge Concepción sur le prétendu vol du tourne-disque, Coco Aravena est absent. Il compte ramener l’arme de la “victime” à l’adresse dont il dispose. C’est ainsi qu’il débarque à l’entrepôt, retrouvant les trois anciens militants avec lesquels il eût dans le passé de vives tensions. Celui qui devait les aider, le Spécialiste, fut naguère connu sous le nom de l’Ombre, auteur d’héroïques provocations. Cette arme, qu’il possédait de longue date, est elle-même historique. Tandis que Crespo et Adelita tentent de retrouver Coco Araneva, les quatre hommes ne renoncent pas à leur projet… Qualifier de polar un roman de Luis Sepúlveda serait une pauvre définition. Au sens large, il reste toutefois très proche de ce genre littéraire. Une confidence de Crespo, flic humaniste, nous le démontre: “Ma culture, Adelita, est celle d’un lecteur de romans policiers où la loi gagne toujours, ou bien, s’il faut la violer, c’est dans l’intérêt des honnêtes gens.” S’il s’agit d’une histoire criminelle, les coupables sont les militaires dictateurs qui écrasèrent si longtemps le Chili. Le même Crespo ne croit guère en l’actuelle “normalité factice” qui ne résout pas les inégalités dans ce pays. L’intrigue mêle très habilement une bonne dose d’humour et de plus sombres épisodes de la vie chilienne. Pour l’auteur, les activistes de la lutte populaire se sont parfois trompés jusqu’à être caricaturaux, mais leur combat n’en fut pas moins utile. Sourires et évocations historiques nous donnent ici une nouvelle preuve du talent de Sepúlveda. |
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