Pour une fois, il n’a pas été assez attentif. Louis, dormant à terre derrière les fauteuils situés en fin de station, est réveillé manu militari par deux vigiles accompagnés d’un chien et de leur chef. Seul l’animal, qui ne peut parler à cause d’une muselière, semble lui accorder un semblant de sympathie. Le temps de rapatrier ses maigres affaires dans deux sacs plastiques et Louis est raccompagné à la sortie, les grilles sont refermées derrière lui et il est obligé de chercher un autre abri plus ou moins accueillant. Le quotidien de Louis et bon nombre de ses copains. Ceux avec lesquels il se regroupe se nomment Dédé et Daniel, même si parfois la mésentente s’installe entre les trois hommes. Faut dire que Daniel est un profiteur. Afin de se payer le minimum vital, Louis connait, et met en pratique, quelques astuces, comme s’accaparer un caddie dans le hall de la gare de Lyon et le proposer contre une petite rétribution aux voyageurs pressés et surchargés de bagages. Heureusement, l’hiver, des associations caritatives s’occupent des plus démunis leur fournissant vivres et toit. Cela ne convient pas toujours à ces habitués du bitume qui n’apprécient guère la promiscuité. Alors Louis s’arrange, se débrouille, vit ou plutôt survit grâce à de petits expédients. Il a bien l’espoir de toucher le RMI, c’est ce que lui suggère une femme de la Mission Evangélique en lui proposant de l’aider dans ses démarches, mais celles-ci sont longues et compliquées, alors il abandonne. Sous-titré roman, ce petit ouvrage est un docu-fiction dans lequel gravite comme personnage principal Louis et épisodiquement ces deux compagnons de misère. Un roman touchant, émouvant, qui nous entraîne de l’autre côté du miroir. Bulgare d’origine Svetlan Savov muni d’un visa a pu s’installer en France. Et ce qu’il narre dans cet ouvrage, il a dû le vivre durant quelque temps, même si aujourd’hui il est chauffeur de taxi en région parisienne. Une intégration réussie diront certains, mais à quel prix. Publié en 2001 aux éditions Gaspard Nocturne, ce livre méritait d’être réédité, surtout en cette période où les hommes politiques se gargarisent d’identité nationale, d’expulsion, de reconduite aux frontières, et autres joyeusetés ignobles. Et l’on pardonnera volontiers certaines maladresses dans la tournure des phrases car ce roman, son premier, a été écrit directement en français. A noter cette phrase lucide : « Une chose est sûre et certaine, c’est que l’homme a inventé le progrès pour se compliquer la vie ».
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