Bombe X Ludo Sterman Fayar noir 2013 Une chronique c’est une lecture, un regard, parfois un enthousiasme qu’on veut partager. Ici, exceptionnellement, la chroniqueuse que je m’efforce d’être va s’effacer le plus possible derrière l’auteur et le discours de ses personnages. Mais avant de leur laisser la parole, un mot tout de même sur l’argument. Julian Milner, le héros de « Dernier Shoot pour l’Enfer » est journaliste sportif au « Sport ». Après avoir pendant longtemps « servi la soupe » aux annonceurs, aux entraineurs, docile aux ordres de sa rédaction, il avait, dans l’opus précédent, mis à jour les dérives du football spectacle. Non sans en payer le prix. Dans ce roman ci, on le retrouve retiré du journalisme, occupé par l’écriture d’un livre sur sa dernière aventure. Mais son frère, journaliste engagé avec lequel il se trouve souvent en rivalité, est retrouvé à demi-mort sur une aire d’autoroute. Alors Julian part en quête de ce que l’amnésie post traumatique de son frère rend obscur. Il va bien vite remonter le cours des précédentes investigations du blessé et se trouver lui aussi en danger. Cette fois, il est question de cyclisme, de mafieux russes, de réseaux de drogue et de fourniture de molécules diverses… Mais, comme convenu, laissons la parole à ses personnages. « Si tu veux tout piger du dopage, de ses processus et de la mentalité du peloton, lis LA Confidentiel, les secrets de Luis Armstrong » de Ballester et Walsh […] c’est une mine d’or. Aussi incroyable que ça puisse paraître, cela n’a pas entamé d’un pouce l’image d’Armstrong »… ou encore « En 1991 Erhenber écrivait : Les champions sportifs sont les symboles de l’excellence sociale alors qu’ils étaient autrefois signe de l’arriération populaire. Aujourd’hui, qu’écrirait-il : les champions sportifs sont des modèles de l’expérimentation scientifique et médicale alors qu’ils étaient les symboles du rapport au corps sain » ? Sur l’attitude des media vis-à-vis du sport : pour résumer, Sterman explique que les chaines consacrent leurs fonds à l’achat de droits qu’elles doivent rentabiliser, d’où l’absolu manque de critiques et surtout d’investigations pour regarder derrière le rideau à paillettes : il y faudrait du temps, de l’argent, des hommes : tout ce dont elles ne disposent plus. La thèse du roman fait froid dans le dos : les jeunes cyclistes appartenant aux pôles «espoir » des grandes équipes servent de cobayes. Lorsqu’ils ont expérimenté les produits, « on » les sert aux pros. Parfois, ils en meurent dans une triste chambre d’hôtel. Et tout le monde sait tout ça, y compris les foules massées en ce moment même sur les bords des routes du Tour de France. Alors ? Alors, si vous voulez applaudir l’escroquerie, libre à vous, mais faites l’effort de lire Sterman. Sans préchi precha, il parle avec une tendresse désespérée de ces sportifs condamnés à la réussite, eux qui donnent tout. « Mais aucun sport n’est médiatisé pour ses vertus de bien-être. Au contraire, on valorise la compétition, l’affrontement, le gagnant, l’exploit, le record…Dans une société où tout le monde triche pour arriver à ses fins, on voudrait que le sport soit honnête ? C’est impossible ! » Et quand la vérité de l’affaire sur laquelle il enquête éclate après quatre cents pages d’une aventure pleine d’amour, de violence et de fureur, menée tambour battant, la conclusion appartient à un malfrat : « Laisse tomber Paris et le vélo. Ils y a tous les autres sports et toutes les autres villes… » M’sieur Sterman, je parierais, je ne sais pourquoi, que vous ne passez pas vos après-midi devant la télé à regarder le peloton, encore moins à courir derrière la caravane, tendant la main pour un objet publicitaire fabriqué en Chine dans des ateliers qui cassent le marché français… Rabat-joie ? Non, ni lui, ni moi ne critiquons ceux qui y trouvent leur compte. Mais il faudrait qu’ils soient honnêtes. Tout le monde sait tout ce qu’il y a à savoir, non ? Et les postures scandalisées viennent souvent de ceux là même qui organisent la triche… Quand on a la chance de lire un bon roman, avec des personnages attachants, humains, payant le prix de la chair pour aller au bout de leurs convictions, il ne faut pas s’en passer. Sterman sur prescription : c’est sans EPO.
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