Je m’appelle Alice et j’ai fêté mes quinze ans avec maman au Muffin Place, mais sans papa, qui est infirmier et aurait dénigré tous les produits composant ces délicieux gâteaux. Maman est bibliothécaire mais exerce un travail parallèle non rémunéré qui lui prend autant de temps : elle est bénévole dans une association qui aide les étrangers en situation irrégulière à obtenir des papiers. Et malgré mon âge, je me rends compte que les différentes administrations ne sont pas coordonnées, mais c’est peut-être voulu. Par exemple pour la famille Sharam. Nawar et Benazir Sharam, un couple de Pakistanais vivant en France depuis douze ans, deux enfants dont la fille est dans ma classe. Ils ont créé une petite entreprise de nettoyage, avec six employés, et payaient régulièrement leurs impôts et les charges sociales. Clandestins en règle si l’on peut dire. Et un jour Nawar a disparu et l’on a su qu’il avait été mis dans un charter via le Pakistan, d’où il s’était échappé en butte à l’ire d’une frange de religieux qui n’avaient pas accepté le film, une comédie musicale, qu’il avait produit et qui dénonçait la condition des jeunes filles obligées de se marier très jeunes par décision parentale. Heureusement sa femme Benazir, qui depuis a obtenu ses papiers, dirige toujours l’entreprise, en payant les impôts et la Sécu. Je ne sais pas mais je crois bien que certaines entreprises françaises ne sont pas aussi respectueuses des lois, mais je déborde du cadre. Je possède un don, celui d’observer et déduire là où bien des adultes ne voient rien. Par exemple, ce jour de mes quinze ans, en arrivant au Muffin Palace, j’ai aperçu dans une voiture grise deux hommes dont le comportement ne me semblait pas vraiment catholique. Leur accoutrement peut-être, surtout celui qui étaitt assis à côté du conducteur. Je l’ai surnommé le Marocain, à cause de son physique. Mais ce qui m’a surtout frappé, c’est qu’il portait autour du cou une chaîne à laquelle étaient accrochés trois signes religieux différents : une croix, un coran et une mezouzah. Sans aucun doute voulait-il mettre toutes les chances de son côté. J’ai tout enregistré dans ma tête, de même que j’ai bien remarqué le client, un goinfre, qui s’empiffrait de muffins dans le salon de thé. C’est là que j’ai annoncé à maman que je voulais devenir flic. Je ne veux pas dire que cela l’a traumatisée, mais elle a essayé de décliner tous les métiers que je pourrais embrasser car celui que j’envisageai ne lui plaisait pas du tout. Faut la comprendre aussi, elle qui passe la plupart de son temps à obtenir des papiers pour des étrangers en situation irrégulière. Abdel par exemple, qui est né le même jour que maman et à qui il arrive tout plein d’ennuis. Il est gentil Abdel, mais franchement il pourrait au moins dire la vérité au lieu de chercher toutes sortes de faux fuyants. C’est un cas Abdel, qui a déjà purgé par deux fois des peines de prison. Petits vols, un peu de drogue, pas de papiers, des squats à gauche et à droite, gros mensonges et petits délits mais faut pas me la faire, je sais distinguer le vrai du faux et vice versa. Pendant que j’expliquais à maman que ma décision était prise et irrévocable, j’examinais sur le trottoir d’en face un faux SDF. D’abord son sac de couchage était trop neuf pour lui appartenir, et puis il avait une montre et un téléphone portable, pas vraiment les ustensiles nécessaires à quelqu’un qui vit dans la rue. Et puis d’un seul coup une fusillade a éclaté dans le salon de dégustation et nous avons eu peur maman et moi. Surtout quand l’un des tueurs a pointé son arme sur nous. L’autre client lui n’a pas eu de chance. De plus en plus les romans pour adolescents sont imprégnés de faits de société et d’actualité, comme ici cette affaire de sans-papiers qui est bien le fond principal de l’histoire. L’intrigue qui débute avec les tueurs que repère Alice puis le dénouement est plus un enrobage de sucre glacé qu’un fourrage de frangipane. Le propos principal tourne autour de ces étrangers, qui parfois travaillent, paient leurs impôts, dont les enfants vont à l’école, mais ne peuvent obtenir par on ne sait quelle aberration des papiers en règle. Et la déclinaison des petits méfaits d’Abdel qui ne sait comment prouver à Alice et sa mère combien il leur est redevable et sa gentillesse est accompagnée de dadeaux de provenance douteuse. Anne et Marine se contentent de poser ces problèmes, de les expliquer, d’en démontrer le côté ubuesque parfois, mais sans mettre en cause tel ou tel homme ou parti politique, sans verser dans la grandiloquence outrancière, dans l’acrimonie politique, dans les revendications et les accusations, dans le pathos. Elles construisent leur histoire et chacun pourra y apposer sa morale, réfléchir en son âme et conscience et peut-être écouter les discours d’une oreille plus affûtée. Et lire ou relire ce beau livre de Jean-Paul Nozière : Tu peux pas rester là !, paru l’an dernier chez le même éditeur.
Une autre lecture duComment Je Suis Devenue Flicde PAUL MAUGENDRE |
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Je m’appelle Alice et j’ai fêté mes quinze ans avec maman au Muffin Place, mais sans papa, qui est infirmier et aurait dénigré tous les produits composant ces délicieux gâteaux. Maman est bibliothécaire mais exerce un travail parallèle non rémunéré qui lui prend autant de temps : elle est bénévole dans une association qui aide les étrangers en situation irrégulière à obtenir des papiers. Et malgré mon âge, je me rends compte que les différentes administrations ne sont pas coordonnées, mais c’est peut-être voulu. Par exemple pour la famille Sharam. Nawar et Benazir Sharam, un couple de Pakistanais vivant en France depuis douze ans, deux enfants dont la fille est dans ma classe. Ils ont créé une petite entreprise de nettoyage, avec six employés, et payaient régulièrement leurs impôts et les charges sociales. Clandestins en règle si l’on peut dire. Et un jour Nawar a disparu et l’on a su qu’il avait été mis dans un charter via le Pakistan, d’où il s’était échappé en butte à l’ire d’une frange de religieux qui n’avaient pas accepté le film, une comédie musicale, qu’il avait produit et qui dénonçait la condition des jeunes filles obligées de se marier très jeunes par décision parentale. Heureusement sa femme Benazir, qui depuis a obtenu ses papiers, dirige toujours l’entreprise, en payant les impôts et la Sécu. Je ne sais pas mais je crois bien que certaines entreprises françaises ne sont pas aussi respectueuses des lois, mais je déborde du cadre. Je possède un don, celui d’observer et déduire là où bien des adultes ne voient rien. Par exemple, ce jour de mes quinze ans, en arrivant au Muffin Palace, j’ai aperçu dans une voiture grise deux hommes dont le comportement ne me semblait pas vraiment catholique. Leur accoutrement peut-être, surtout celui qui étaitt assis à côté du conducteur. Je l’ai surnommé le Marocain, à cause de son physique. Mais ce qui m’a surtout frappé, c’est qu’il portait autour du cou une chaîne à laquelle étaient accrochés trois signes religieux différents : une croix, un coran et une mezouzah. Sans aucun doute voulait-il mettre toutes les chances de son côté. J’ai tout enregistré dans ma tête, de même que j’ai bien remarqué le client, un goinfre, qui s’empiffrait de muffins dans le salon de thé. C’est là que j’ai annoncé à maman que je voulais devenir flic. Je ne veux pas dire que cela l’a traumatisée, mais elle a essayé de décliner tous les métiers que je pourrais embrasser car celui que j’envisageai ne lui plaisait pas du tout. Faut la comprendre aussi, elle qui passe la plupart de son temps à obtenir des papiers pour des étrangers en situation irrégulière. Abdel par exemple, qui est né le même jour que maman et à qui il arrive tout plein d’ennuis. Il est gentil Abdel, mais franchement il pourrait au moins dire la vérité au lieu de chercher toutes sortes de faux fuyants. C’est un cas Abdel, qui a déjà purgé par deux fois des peines de prison. Petits vols, un peu de drogue, pas de papiers, des squats à gauche et à droite, gros mensonges et petits délits mais faut pas me la faire, je sais distinguer le vrai du faux et vice versa. Pendant que j’expliquais à maman que ma décision était prise et irrévocable, j’examinais sur le trottoir d’en face un faux SDF. D’abord son sac de couchage était trop neuf pour lui appartenir, et puis il avait une montre et un téléphone portable, pas vraiment les ustensiles nécessaires à quelqu’un qui vit dans la rue. Et puis d’un seul coup une fusillade a éclaté dans le salon de dégustation et nous avons eu peur maman et moi. Surtout quand l’un des tueurs a pointé son arme sur nous. L’autre client lui n’a pas eu de chance. De plus en plus les romans pour adolescents sont imprégnés de faits de société et d’actualité, comme ici cette affaire de sans-papiers qui est bien le fond principal de l’histoire. L’intrigue qui débute avec les tueurs que repère Alice puis le dénouement est plus un enrobage de sucre glacé qu’un fourrage de frangipane. Le propos principal tourne autour de ces étrangers, qui parfois travaillent, paient leurs impôts, dont les enfants vont à l’école, mais ne peuvent obtenir par on ne sait quelle aberration des papiers en règle. Et la déclinaison des petits méfaits d’Abdel qui ne sait comment prouver à Alice et sa mère combien il leur est redevable et sa gentillesse est accompagnée de dadeaux de provenance douteuse. Anne et Marine se contentent de poser ces problèmes, de les expliquer, d’en démontrer le côté ubuesque parfois, mais sans mettre en cause tel ou tel homme ou parti politique, sans verser dans la grandiloquence outrancière, dans l’acrimonie politique, dans les revendications et les accusations, dans le pathos. Elles construisent leur histoire et chacun pourra y apposer sa morale, réfléchir en son âme et conscience et peut-être écouter les discours d’une oreille plus affûtée. Et lire ou relire ce beau livre de Jean-Paul Nozière : Tu peux pas rester là !, paru l’an dernier chez le même éditeur.
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