|
|
SYLVIE ROUCH |
Décembre BlancAux éditions PASCAL GALODE EDITEURS * |
3288Lectures depuisLe samedi 30 Octobre 2010
|
Une lecture de |
En ce froid mois de décembre, la neige est tenace sur Paris. Chef d’une brigade antiterroriste, Simon Bedecker est un homme mûr marqué par la vie. Son équipe et lui enquêtent sur des agressions à l’acide visant des femmes. Deux motards masqués ont vitriolé plusieurs femmes musulmanes. Des actes revendiqués par “les Brigades d’Allah”, jusqu’alors inconnues de la police, dans des communiqués exprimant des positions radicales. Les médias populistes néo-fascistes utilisent ces agressions pour cultiver l’islamophobie. Afin de plaire à un certain électorat, les autorités font pression pour désigner coupable le djihad d’Al-Quaida. Simon et ses hommes ne voient guère de lien entre les trois victimes, une femme de ménage, une gynécologue et la journaliste qui vient de subir le même sort. Auteur d’articles souvent virulents, Tania Achaoui est employée par le magazine “Bakélite”. Hospitalisée, un peu moins touchée que les précédentes victimes, elle songe à ses proches, son frère Jamel, son ami Hassan. Tandis que ses adjoints débutent une enquête tous azimuts, Simon rencontre Réjane Anderson, créatrice et responsable du magazine. Pour elle, Tania est une passionnée du journalisme d’investigation, mordante et compétente. Réjane n’a rien à ajouter sur la vie privée de la jeune femme. Néanmoins, les enquêteurs s’intéressent au cas de Jamel, qui est fiché. Plus jeune, il fut impliqué dans un braquage, mais on ne trouva pas assez de charges contre lui. Ses supposés complices le couvrirent, sans doute. S’il a fréquenté des délinquants, Jamel apparaît aussi sur une photo aux côtés de possibles terroristes. La fière Tania restait insensible à l’amour de José, le graphiste de “Bakélite”, qui apporte peu d’élément nouveau à Simon. Femme battue, victime d’un prétendu accident aux graves séquelles, Francine Marvaux s’adresse à Réjane Anderson. Elle a une revanche à prendre contre son violent compagnon, Eddie Lefranc. Francine trouva chez lui des tracts fascisants. Employé dans une imprimerie, l’homme affiche clairement des idéaux racistes, et s’énerve vite. Dans le contexte des agressions à l’acide, il craint des initiatives mal maîtrisées de ses sbires, des jumeaux tarés. La lieutenant Edwige Lamarche de la Criminelle suit les mêmes suspects que l’équipe de Simon Bedecker. Ce qui crée quelques tensions entre eux. Bien qu’il soit surveillé de près, Jamel parvient à tromper la vigilance des policiers. Simon interroge Tania sur son ami iranien Hassan, qui apparaît opposé au terrorisme islamique. La piste indiquée par Réjane pourrait s’avérer plus intéressante… Récompensée par le Prix “Polar dans la Ville” en 2006, Sylvie Rouch n’est pas une néophyte en écriture. On le vérifie une fois encore dans ce polar, entre sombre enquête et roman noir. Le parcours des principaux protagonistes offre une réelle densité à ces personnages. Entre le cas de sa femme Irène et celui de son fils qui s’est éloigné de lui, Bedecker est de ceux qui surmontent tant bien que mal les épreuves. C’est ainsi que l’on comprend cette détermination qui le pousse à trouver les coupables, et surtout la vérité. Militante, Réjane Anderson n’est pas moins volontaire que le policier. Ex jeune délinquant, Jamel ne nous est pas présenté avec complaisance. Concernant les suspects, on nous propose plusieurs axes plausibles. “Est-ce que c’était une maladie d’aimer le blanc, le propre et l’aseptisé ? Eddie aimait les gens comme lui, qui aimaient le blanc.” Il est difficile d’évoquer les fachos sans paraître assez caricatural, de dénoncer l’islamophobie (ou toute autre forme d’intolérance) sans risquer les clichés. Sylvie Rouch réussit à se montrer plutôt convaincante en la matière. Voici donc une intrigue très bien construite, à l’ambiance crédible, avec une bonne dose de suspense.
Alors que certains auteurs s’échinent à pondre 500, 600, voire 700 pages, à croire qu’ils sont payés comme les feuilletonistes du XIXème siècle à la ligne, Sylvie Rouch en 220 pages écrit sans fioritures, sans graisse superflue, et donne l’illusion de raconter une histoire de longue haleine. Sylvie Rouch est une minimaliste et elle le revendique en tant qu’excellente nouvelliste. Malheureusement elle est trop rare. Un groupuscule, inconnu des services anti-terroristes et qui s’intitule les Brigades d’Allah, agresse en plein Paris des femmes d’origine musulmane en les vitriolant. Ces islamistes radicaux, qui circulent en moto, accusent les imans formés sur le territoire de pactiser avec l’Occident et l’ennemi Juif. Le commandant Simon Bedecker, son équipe, ainsi que sa collègue Edwige Lamarche surnommée GI Jane sont sur la brèche mais pour l’heure ils pataugent dans la semoule. Rien à se mettre sous la dent, pas le moindre petit début d’indice. En ce mois de décembre, la neige recouvre Paris, c’est joli, sauf pour les SDF. Une nouvelle victime est à ajouter aux deux précédentes déjà recensées. Il s’agit de Tania Achaoui, journaliste d’investigation pour Bakélite, un journal qui combat le machisme. A la tête de Bakélite, Black élite comme l’a graffité un plaisantin en dessous de la plaque ornant l’entrée, Réjane Anderson une universitaire que rien ne démonte. Bedecker et ses hommes sont toutefois dubitatifs. Selon les témoins les vitrioleurs conduisaient une moto de marque concurrente et la composition du produit est sensiblement différente que celui utilisé dans les cas précédents. Tandis que Réjane Anderson est contactée par une mystérieuse madame Fougère qui lui remet un tract islamophobe, Bedecker s’attache à remonter le parcours de Jamel, le jeune frère de Tania, qui possède un casier judiciaire trop conséquent pour être honnête. Et de toute façon aucune piste n’est à négliger car Fehlman, le nouveau directeur du service qui se montre volontiers cynique, exige des résultats. Rapidement. Et bien évidemment il martèle des propos tenus en haut lieu, sans essayer de démêler le vrai du faux, axant sa priorité sur l’arrestation de présumés terroristes qui fomenteraient des attentats aveugles. Pour lui les coupables sont tout désignés, il n’y a plus qu’à les arrêter. Si Sylvie Rouch propose une énigme à double détente intéressante et habilement construite, elle s’attache surtout aux personnages, sur leurs relations, professionnelles ou familiales, leur donnant une véritable épaisseur en peu de mots. Des policiers perturbés dans leur vie privée, ou qui se révèlent machistes, une journaliste féministe mais pas obtuse, et d’autres qui grenouillent profitant de la phobie actuelle. Une étude de caractères qui s’intègre dans l’actualité et il est difficile de ne pas penser à l’affaire des Roms, à leur expulsion saluée par une grande majorité de Français qui pourtant se déclarent non racistes. Mais on pourrait évoquer d’autres affaires qui aliment les médias, et dont le ministre de l’Intérieur et ses collègues du gouvernement se font des gorges chaudes. Et qui dire des petits coups de griffes portés ça et là comme les mésaventures des automobilistes de l’A84 bloqués par la neige alors que la Francilienne bénéficie des faveurs présidentielles. Sylvie Rouch truffe son roman de quelques références discographiques de Gossip à Bob Dylan en passant par Joe Cocker, Youssou N’Dour et Neneh Cherry et quelques autres, ce qui démontre son éclectisme musical. Sylvie Rouch, pour la petite histoire, fut à l’origine avec quelques comparses dont moi-même à l’origine du festival Les Visiteurs du Noir de Granville qui se déroulait fin janvier, et elle en fut l’une des chevilles ouvrières efficaces. Enfin elle a obtenu le prix Jean Follain, le premier du nom, décerné par l’association Lire à Saint-Lô en 1993 pour Le canard à trois pattes publié aux éditions de la Bartavelle ainsi que le Prix Polar dans la ville 2006 de Saint Quentin en Yvelines pour Corps-morts édité par Après la lune.
Pascal Galodé, après « Cézembre Noir » nous offre « Décembre blanc ». Black and White, l’alliance qu’il faut pour déguster un bon cru tourbé… Dans un genre bien différent de ce que fait Hugo Buan à un cheveu du « comic strip » Sylvie Rouch installe un décembre froid, très froid sur la capitale que la neige envahit, tandis que la province sombre dans un chaos glacial. Une moto, deux hommes, un flacon d’acide et trois femmes victimes d’un machisme apparemment islamiste. Mais faut-il se fier aux évidences quasi imposées par la hiérarchie et la politique ? C’est le boulot du commandant Bedecker que d’aller fouiller dans la vie privée de chacune des victimes, à la recherche de ce qui a pu déclencher les illuminés qui, étrangement différents des terroristes habituels, revendiquent leurs actes « purificateurs » dans la presse française plutôt que sur les réseaux internet fondamentalistes. La dernière victime, Tania Achaoui est une jeune journaliste d’origine maghrébine qui a beaucoup écrit sur le port du voile. Faut-il y voir l’origine de ce qui lui est arrivé ? Faut-il plutôt aller voir du côté de son frère, dont le pedigree à de quoi intéresser les flics au plus haut point ? La vie personnelle à la douleur envahissante du commandant, les états d’âme de ses hommes, la personnalité de la rédactrice en chef du magasine de Tania, la grisaille de l’hiver et la météo composent un morceau de jazz à la mélancolie acide, acide comme le vitriol qui ronge la peau et l’âme des femmes attaquées. Sylvie Rouch remue les colères de leurs compagnes de route, dissèque les folies masculines, et plaque, sur une toile en demi-teintes hivernales, des éclaboussures de sang. Polar qui interroge, dont les personnages ne cessent pas de vivre à sa fermeture, il laisse l’envie de retrouver Bedecker, le flic, autant dans une autre enquête que dans sa quête intérieure… Seul bémol, une fin qu’on aurait préféré plus achevée, plus dans le style du reste du roman.
|
Autres titres de |