|
|
JEAN-PIERRE RUMEAU |
Le Vieux PaysAux éditions ALBIN MICHELVisitez leur site |
525Lectures depuisLe mercredi 14 Mars 2018
|
Une lecture de |
Pour construire des barrages hydrauliques, on a parfois évacué des hameaux, des villages dont les habitants ont été relogés ailleurs, avant d’inonder les terres disponibles. Quand, autour de 1970, a été décidée la création de l’aéroport de Roissy, il fallait libérer beaucoup d’espace. C’est ainsi qu’à Goussainville, vers l’extrémité des pistes, fut condamné le Vieux Pays, la partie ancienne de cette commune. Depuis l’arrivée du chemin de fer, le centre-ville s’était déjà déplacé. Les maisons furent murées, pour la plupart. Mais l’église Saint-Pierre-Saint-Paul étant classée Monument historique, il fut impossible de détruire les habitations. Quelques personnes restèrent y vivre. La demeure seigneuriale abandonnée ne fut bientôt plus qu’une ruine. Faute d’entretien, l’église se dégradait. Néanmoins, le Vieux Pays n’était pas totalement mort. Pasdeloup Meunier s’est installé là, rue Brûlée, en 1995, voilà une vingtaine d’années. Il a maintenant soixante-sept ans, mais garde ses qualités athlétiques. Avec ses yeux vairons et sa carrure sportive, il ne manque pas de succès féminins. Il aurait dû porter un prénom allemand, mais c’est Pasdeloup qui s’est imposé. Fils d’un notaire proche de la diaspora israélite, il tomba amoureux d’une étudiante juive. Mais en juin 1973, Jeanne et sa famille moururent quand un Tupolev s’écrasa sur leur maison. Pasdeloup aurait pu tourner la page et mener une vie plutôt oisive. S’engageant dans l’armée, il suivit une formation militaire aux explosifs. Avec son ami Douze, ils devinrent démineurs, leurs missions les menant de Beyrouth au Rwanda, toujours au cœur du danger. Pasdeloup était alors surnommé Husky, autant pour ses yeux vairons que pour sa bravoure. Dès son arrivée au Vieux Pays de Goussainville, il initia les réparations urgentes de l’église, sans l’autorisation de la mairie ni des curés locaux. Il engagea aussi Maria, employée de maison encore à son service, avec laquelle il pratique ce parler cash qui lui est propre. Il s’est approprié le périmètre autour de chez lui, de l’église à l’ancien château, incluant le cimetière et la bâtisse où il habite. Pas question que des voleurs gitans ou des dealers y pénètrent, y cachent leur butin ou leur drogue. Car c’est la crypte et les souterrains de la zone en question, dont Pasdeloup se veut le maître. Il garde à l’œil Abdel Zayed, un voyou traficoteur rôdant trop souvent sur son domaine. Concernant Nuri Duval, qui exploite un dojo, et sa mère Fatiha Hamza, il observe une sorte de statu-quo, ni proche, ni hostile. Il compte d’autres amis ici, dont un couple de libraires et un marginal réglo, le Russe. Pasdeloup sympathise avec le métis Antoine, cascadeur dans un parc de loisirs ayant perdu confiance en lui-même depuis des problèmes de santé. Il sent une volonté chez le jeune homme, une capacité à recouvrer ses forces, aussi décide-t-il de le soutenir. Quant au cancer qui emporte Catherine, la libraire, il ne peut rien y faire. Par ailleurs, Pasdeloup est toujours resté en contact avec ses amis d’Israël, avec lesquels il a partagé certaines valeurs. S’il veille sur son territoire, les attentats terroristes qui frappent la France ne le laissent pas insensible. Les explosifs, ça le connaît, et certains engins peuvent s’avérer encore plus destructeurs que ceux utilisés par les kamikazes islamistes. Le policier Rafaron (dit Ronron) ferme amicalement les yeux sur les méthodes de Pasdeloup, jusqu’à là. Mais l’ex-baroudeur va peut-être devoir passer à la vitesse supérieure… (Extrait) “[Abdel] n’est pas près d’oublier la terreur qui l’a saisi à quinze mètres sous terre quand il a entendu un cri de guerre et que les détonations ont commencé à éclater. Un bruit d’enfer et des balles qui sifflaient dans tous les sens en ricochant sur les pierres. Ensuite un grand silence suivi de la grenade lacrymogène. Ils s’étaient tous retrouvés dehors en pleine nuit, à quatre pattes dans l’herbe, hoquetant et vomissant à cause du gaz et de la peur. Pasdeloup les attendait avec un pistolet qui pendait au bout de son bras ballant. Il avait ôté ses bouchons d’oreilles et les avaient fait s’allonger à plat ventre. Il les avait fouillés, leur avait demandé leurs noms d’une voix sourde, cassée. Après, il leur avait juste dit : — Ne revenez plus.” Voilà un roman qui suscite des sentiments contrastés, une impression très positive pour l’essentiel, avec quelques éléments pouvant heurter. L’univers de Pasdeloup Meunier, c’est à la fois le calme et la tempête, la recherche d’une sérénité et le besoin de combattre. Le héros exprime globalement un cynisme dérangeant, confinant à la supériorité méprisante. Ça s’explique par son expérience de la vie, puisqu’il a vécu des drames et traversé des épisodes à hauts risques. Il s’est forgé un caractère dur, sévère envers les autres comme pour lui-même. Il exclut l’émotion et la tendresse, mais il est capable de bienveillance. Il jette un regard froid sur le monde, ce qui n’interdit pas une bonne dose d’humanité. Un personnage sûr de lui, de ses actes. Le temps de la vengeance est passé pour Pasdeloup, pas celui de la violence. D’autant que notre époque est hantée par un regain de haine. La grande trouvaille de cette histoire, c’est son décor… un village fantôme. À Goussainville, aux abords des pistes de Roissy, ce Vieux Pays existe réellement. Avec sa bouquinerie, son église classée, ses ruines du château et ses quelques habitants. Un drôle de royaume dans lequel Pasdeloup Meunier agit à sa guise, quelque peu protégé par son statut d’ancien militaire ayant fait ses preuves. La fiction s’appuie sur un site singulier, quasi-déserté, qui n’attire sûrement que quelques curieux. Un lieu à la fois vide et bruyant, survolé par les avions de l’aéroport voisin. Le but du héros n’est nullement de lui redonner vie, mais d’en faire son quartier-général privatif. Et, au final, d’y mener sa guerre, s’il s’y présente des ennemis. Un roman percutant, à l’écriture précise, autour d’un personnage hors norme. |