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CHRISTIAN ROUX |
Adieu Lili MarleenAux éditions RIVAGESVisitez leur site |
975Lectures depuisLe jeudi 11 Mai 2017
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Une lecture de |
Dans les années 2000, Julien est un musicien âgé de trente-cinq ans, pianiste d’ambiance chaque week-end dans un restaurant parisien. De formation classique, il n’a pas bénéficié d’une carrière aussi prestigieuse qu’il le méritait. Avoir pour agent Albert Mauduis ne fut pas une chance pour lui. S’il joua devant le gratin mondain dans des prestations privées, il restait un simple employé, un inférieur, un prétexte culturel pour clients très fortunés. Des soirées de bon niveau, Julien passa un jour aux fêtes orgiaques organisées en marge du Festival de Cannes. Avec prostituées slaves peut-être mineures et drogue-à-gogo. C’était bien payé, ce qui compensait tant soit peu ses dettes de jeu. Monky, comme on l’appelait, fut impliqué dans un trafic de dope. Cinq ans de prison à la clé. Julien n’a jamais dénoncé personne. Malgré tout, ses dettes auprès du truand Kamel ne sont pas toutes réglées. Âgée de quatre-vint-sept ans, Magalie de Winter est une habituée du l’établissement où Julien joue le week-end. Elle lui réclame fréquemment la musique de “Lili Marleen”, cette chanson mélancolique popularisée au temps du nazisme, un succès international. Elle lui laisse de généreux pourboires. Magalie de Winter appartient à une caste supérieure. Elle a vécu une vie pleine d’aventure avec son défunt mari, aristocrate germanique. Une dame qu’il trouve fort attachante. Mais Julien est rattrapé par son passé. Kamel le contraint à accepter une mission énigmatique sur un bateau de croisière. C’est un genre de fête post-mariage, une balade en mer d’une semaine, de la Mer Égée aux Dardanelles. Une riche héritière française a épousé un magnat russe, Kaniliev, organisateur de cet événement sur un yacht baptisé Opus 111. Un coûteux décor, raffiné à souhaits, symbole de réussite. Bon nombre de personnalités, rois de l’industrie ou de la finance, rejoindront la croisière à certains moments. Ce qui impressionne Julien, c’est le piano, authentique Steinway datant de 1916. Ce qui nécessite la présente d’un accordeur expert, Max Blaustein. Julien ne sait toujours pas la véritable raison de sa mission. Dans son esprit, ça reste une question de survie, ce qui n’est pas fait pour le tranquilliser. Bientôt, il découvre que Magalie de Winter est également à bord du yacht, parmi les invités. Rien d’absolument surprenant, même si son parcours dans le monde des arts semble éloigné de celui d’industriels présents, héritiers d’autres valeurs. Julien se retrouve mêlé à un triple meurtre suivi d’un supposé suicide. Il n’est que témoin, rôle qui lui était attribué. Rapatrié en France, il est interrogé par le policier Galant, qu’il connaît. Julien est conscient de ne pas en avoir fini avec le truand Kamel. Il risque d’être exécuté à son tour. Quand il a besoin de soins, sa logeuse Anna peut-elle apporter au musicien autre chose qu’un soutien moral ? C’est dans les secrets de Magalie de Winter, et à travers des courriers échangés il y a fort longtemps, que se trouvent les explications de cette nébuleuse affaire… (Extrait) “Une des premières choses qui nous séduit dans la richesse, c’est l’idée qu’on peut tout se permettre, tout s’offrir. Mais ce n’est pas du tout ce qui se passe. Le très riche se doit de fréquenter certains cercles, de s’habiller chez un tel ou un tel, d’afficher sa fortune sans se préoccuper de ses goûts personnels… ou plutôt il ne doit pas : il s’oblige. Et c’est ça qui est incompréhensible. Vous, vous rêvez de pouvoir vous prélasser dans une somptueuse villa sur la côte d’Esterel, eux, ils se doivent de la posséder ; vous, vous rêvez d’occuper quelque temps une suite dans un cinq étoiles, eux, ils se doivent d’y descendre ; vous, vous rêvez d’un autre monde, de lui inventer de nouvelles formes, eux, surtout pas : l’ordre hiérarchique est l’alpha et l’oméga de leur horizon ; que rien ne bouge, que chacun reste à sa place. Ainsi, malgré toutes les possibilités qui s’offraient à eux, l’ensemble des passagers formait-il un tout homogène et monotone ; les couleurs des tenues changeaient, certes, mais les tissus étaient de même qualité et les coupes toutes plus sages les unes que les autres ou, chez les femmes, trop volontairement excentriques – c’était jours de fête…” La romantique chanson “Lili Marleen” a connu un succès mondial, en particulier grâce à Marlène Dietrich (mais elle eut beaucoup d’interprètes). Sa mélodie se retient aisément, et son texte teinté de nostalgie est universel : une histoire d’amour contrariée, l’image d’un bonheur fantomatique, une séparation suggérant la mort. Si cette magnifique chanson a été reprise par les Alliés, elle reste symbolique du Reich hitlérien. De sa propagande et de ses exactions criminelles, de la répression subie par quantité d’artistes au talent immense. Musicien de formation lui-même, Christian Roux connaît à la perfection le sujet traité ici, nous initiant à tout un univers musical. Où il est autant question de "classique" que de jazz. Sa description du héros s’avère vivante et juste, lui offrant une indéniable crédibilité. On partage ses déboires, passés et actuels, et ses sombres sentiments profonds, bien plus nombreux et obsédants que ses instants de paix. Un personnage vrai, en somme. Pour l’anecdote, car cela n’entame en rien la très belle qualité de ce roman, notons un passage discutable. “Le revolver utilisé était le Mustang Arms Whisper qu’on avait retrouvé au fond de la mer, non loin du corps…” Heureusement que le récit glisse sans s’attarder sur cette situation fort peu réaliste autour d’un yacht en mer… En 2016, “Adieu Lili Marleen” a été récompensé par le Trophée 813 du meilleur roman francophone. Une distinction absolument méritée. Un noir polar à redécouvrir en format poche. |
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