Un homme répondant au nom de John Smith est retrouvé, en novembre 1965, dans une chambre d’hôtel à New-York, lacéré par ce qui pourrait être un rasoir, un morceau de peau prélevé sur le bras, émasculé, le bas-ventre complètement déchiqueté. L’enquête est confiée à Al Seriani et son coéquipier Dave. Deux policiers, deux hommes dissemblables liés d’amitié mais qui possèdent chacun leurs blessures secrètes. Si Dave est un jeune frais émoulu de l’école de police, il a à peine vingt ans, Al Seriani lui n’en est plus à sa première affaire depuis longtemps. Al couche avec des prostituées, Sheila le plus souvent, se montre violent, boit volontiers et rumine ses rancœurs avec colère. Et lorsqu’il croit savoir que Dave a une petite amie, il ressent comme un sentiment amer de jalousie. John Smith, du moins c’est sous ce nom qu’il était connu à l’hôtel où il résidait durant un mois une fois par an, était un homme discret, très discret. Pour preuve il ne parlait jamais, ce qui ne veut pas dire qu’il fut muet. Du moins avant son décès. L’autopsie de John Smith met en évidence une anomalie : il possède deux groupes sanguins différents dont l’un est peu représentatif, mais existant quand même. Entre deux cauchemars vécus par Al et deux engueulades avec ses collègues dont l’agent Stew qui se montre particulièrement ironique à son endroit, l’enquête continue son petit chemin. Grâce à une voiture de location abandonnée, la piste John Smith remonte à un aéroport et l’hôtesse délivre une nouvelle identité qui ne les avance guère. L’homme s’appellerait Javier Sanchez et serait de nationalité paraguayenne. Pour les policiers chargés de l’enquête - outre Al et Dave, Farwell, Di Maggio et Stravinsky sont sur les dents - il s’agit de patronymes fictifs. Tandis qu’Al se démène avec ses problèmes personnels et professionnels, un second cadavre est découvert. Une vague ressemblance existe entre les deux meurtres et les deux défunts. Par exemple le prélèvement de peau sur le bras. Mais aussi qu’ils résidaient dans des hôtels de classe. Qu’ils voyageaient beaucoup, aux mêmes endroits, à la même époque. Enfin des atteintes corporelles qui ne devraient plus leur poser problème en tant que défunts mais auraient été préjudiciables s’ils devaient continuer à procréer. Si l’enquête tient une place prépondérante dans ce premier roman, les affres d’Al Seriani le policier torturé mentalement, écorché vif, sont également au cœur de l’ouvrage. Sans compter sa liaison, en tout bien tout honneur, avec son coéquipier Dave qui lui aussi remorque malgré son jeune âge un fardeau insoupçonné. L’histoire prend sa genèse dans une période noire de l’histoire dont son lot d’expériences et de tortures en sont les cicatrices indélébiles. Un roman dur, parfois insoutenable, livrant par moment avec une complaisance excessive les supplices endurés par les victimes d’hier et d’aujourd’hui, aujourd’hui étant bien évidemment l’époque de l’enquête. Un roman émouvant aussi, qui prend le lecteur par les tripes. Il existe une forme d’humour noir qui permet de reprendre son souffle : « Avec son cou affiné, on aurait dit une girafe se protégeant les parties inférieures pour un coup franc lors d’un match de foot ». On pardonnera les petites erreurs qui se glissent de temps à autre comme le personnage du commissaire, grade qui n’existe pas aux Etats-Unis, ou cette réplique : « En français, docteur ? ». Il me semble qu’écrire « Et en clair, docteur ? » eut été plus approprié. Souhaitons bon vent, et surtout longue continuation à Gipsy Paladini dont c’est le premier roman publié par un éditeur canadien distribué en France par Hachette.
|
|