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JEAN-CHRISTOPHE PERRIAU |
Un Monde Trop PetitAux éditions INEDITSVisitez leur site |
385Lectures depuisLe jeudi 31 Janvier 2019
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Une lecture de |
En France, fin de l’année 2012. Trois exemples de personnes dont les vies ont sombré dans la noirceur. Les séparations parentales peuvent entraîner des conséquences bien plus insurmontables qu’on l’imagine. Si son frère aîné Rémy semble avoir plus facilement admis la situation, Matilda continue à en souffrir, bien qu’âgée désormais d’une petite trentaine d’années. Parce que, suite au départ brutal de son père quand elle était enfant, sa mère perdit tout repère, végétant en se réfugiant dans l’alcoolisme, hospitalisée quand se produisaient des crises. Matilda était bien seule pour endurer cette explosion familiale, et elle reste marquée – malgré ses tentatives de sociabilisation. Boubacar Cissé fut "importé" d’Afrique par son père alors qu’il était enfant, pour former une nouvelle famille en France. Bouba subit bien vite les maltraitances de sa marâtre. Il tâcha de s’endurcir pour l’affronter en grandissant. Pour autant, le garçon fut livré à lui-même. À l’automne 2005, des émeutes éclatèrent à Clichy-sous-Bois, suite à la mort de deux ados, Bouna Traoré et Zyed Benna, électrocutés dans un poste électrique alors qu'ils cherchaient à échapper à la police. Bouba Cissé avait alors vingt-cinq ans. Ces faits, auxquels il était parfaitement étranger, furent l’occasion de se défouler pour lui. Mais on ne fit pas de cadeau aux délinquants : Bouba fut condamné à plusieurs années de prison. Une chance se présenta quand il rencontra Louis, éducateur en centre de prévention. À sa sortie, Bouba fut engagé par une unité du Samu social. Si cela ne l’empêcha pas de continuer à fumer des joints, il admit devoir faire évoluer son comportement. Du moins en apparence, car il n’en avait rien à faire de ces clodos crasseux qu’il fallait bien traiter. Et puis l’atelier d’initiation informatique qu’il était censé animer n’intéressait personne. L’hypocrisie n’a qu’un temps, même s’il faisait bonne figure à la responsable de cette unité. Jusqu’au jour où arriva un SDF, muet après être devenu aphone, qui n’avait pas besoin d’être initié aux ordinateurs. Une drôle de relation s’installa entre eux. Ce clochard particulier, c’était Franck. Lui-aussi fut, d’une certaine façon, victime des émeutes de 2005. Il était alors journaliste de presse, spécialiste des faits divers. Avec déjà une forte tendance à l’alcoolisme. Il essaya de poursuivre son métier, mais Franck ne maîtrisait plus grand-chose de sa vie. C’est là que débuta son errance. Selon les lieux où il prit ses habitudes, on le considéra comme un "clodo sympa" dont la passivité n’était guère dérangeante. Mitch, Nono, Karim, il se fit vaguement quelques amis dans la rue, tout en était conscient que ce n’était pas son univers de solitaire baignant dans l’ivresse. Quand Bouba lit la "confession" écrite sur ordinateur par Franck, cela pourrait l’émouvoir. Mais il y a longtemps qu’il n’éprouve plus aucun sentiment. Même si se croisent les chemins de Matilda, Franck et Bouba, peu d’espoir d’amélioration dans le parcours de chacun d’eux… Avec ces trois cas, Jean-Christophe Perriau explore la déchéance sociale de personnes qui ont été, comme on le dit par commodité, victimes d’"accidents de la vie". En réalité, leurs problèmes prennent racine tôt pour Bouba ou Matida. Si Franck est tombé lui aussi, c’est pour d’autres causes. Que peut-on pour eux, puisque c’est le Destin qui est à l’œuvre ? Quand on décrit de tels personnages, on en vient vite à parler de "misérabilisme". Ce n’est pas ce que nous transmet l’auteur. Ces laissés-pour-compte, il ne les juge pas, et nous n’avons pas envie de le faire non plus. Avec ses codes de banlieusard racaille, Bouba a-t-il la moindre chance de changer ? Si un léger mieux se produit pour la mère de Matilda, un autre drame viendra assombrir leurs vies. Quant à Franck, il n’y a plus d’envie en lui, un moteur qui l’a quitté depuis des années. Non, ces trois-là ne sont pas pitoyables.Ce qu’ils ont raté est largement dû aux circonstances. Voilà un roman noir psychologique de bon aloi, qui peut nous aider à réfléchir au sort des autres.
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