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ALAN PARKS |
Janvier NoirAux éditions RIVAGESVisitez leur site |
555Lectures depuisLe mercredi 14 Mars 2018
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Une lecture de |
Glasgow, début janvier 1973. Âgé de trente ans, Harry McCoy est aujourd’hui inspecteur, après avoir déjà passé de longues années dans la police. Si ses rapports avec Murray, son supérieur hiérarchique, sont parfois houleux, il y a de l’estime entre eux. La mère de McCoy est partie quand il avait trois ans. Son père alcoolique et brutal tenta vainement de s’occuper de lui. Il vécut en famille d’accueil, mais fréquenta aussi des foyers catholiques pour orphelins dont il conserve un souvenir exécrable. Malgré tout, c’est ainsi qu’il connut son meilleur ami, Stevie Cooper, devenu un caïd de la pègre glaswégienne. Harry McCoy s’engagea tôt dans la police. Il eut une compagne, Angela, mais un drame les sépara. Il a ses habitudes dans une maison close — avec la prostituée Janey, fume trop souvent des joints, et s’enivre dans les pubs miteux, y compris ceux accueillant les bikers. Malgré l’intervention de McCoy et de son jeune adjoint Wattie, une femme de dix-neuf ans est abattue devant la gare routière, par un jeune homme de son âge qui se suicide illico. Un détenu venait d’informer McCoy du probable meurtre. La victime, Lorna Skirving, jolie blonde, était aide-serveuse au Malmaison, mais ne s’intéressait guère à ce métier. Par sa colocataire Christine, les policiers apprennent que Lorna se prostituait ponctuellement. Pas du tapin ordinaire, semble-t-il, car de récentes ecchymoses sur son corps laissent penser qu’elle participa à des séances sado-maso. Entre-temps, le détenu homo qui avait informé McCoy est découvert égorgé dans les douches de la prison, la langue coupée. Un contrat pour un commanditaire extérieur, évidemment. L’assassin de Lorna, Tommy Malone, a été identifié par un prêtre du foyer où il fut hébergé. Tommy Malone était employé comme jardinier dans la propriété de Lord Dunlop. Un lieu où McCoy n’est pas du tout le bienvenu. Avec Wattie, ils interrogent Jimmy Gibbs, trente-quatre ans, régisseur du domaine et actuel compagnon d’Angela. Pas de franche réponse au sujet du jeune Tommy. Ce ne sont pas Lord Dunlop ou son fils Terry qui en diront plus sur cet employé sans importance pour eux. Quant à Lorna, elle leur est inconnue. Suite à cette visite, que les Dunlop n’ont pas appréciée, le chef Murray est sous pression, priant McCoy de trouver d’autres pistes. Grâce à l’universitaire Susan Thomas, qui étudie la marginalité locale, un nom apparaît. Une certaine Baby Strange pratiquerait une forme de proxénétisme différent. Si les maisons closes ont toujours une clientèle, ce sont d’autres "services" auxquels certains hommes aisés font appel. Quant à l’origine de l’arme utilisée par Tommy Malone, ce n’est pas à Glasgow qu’il a pu l’acquérir. Quelqu’un lui a sûrement fourni ce flingue. Si McCoy se fait tabasser, c’est que son enquête dérange. Il fuit bien vite l’hôpital pour continuer ses recherches. Il va entrer en contact avec Baby Strange, en marge d’un concert de David Bowie. Une autre victime est découverte, cette Isabel Garvey présentant des points communs avec Lorna. Bien que la coupable passe aux aveux, McCoy est convaincu que la vérité est moins simple. Faut-il se contenter de cette solution de facilité ? Non, le policier va persévérer… (Extrait) “McCoy n’arrivait pas à le quitter des yeux. Il regardait ses gros doigts tambouriner sur ses papiers, les petits mouvements de sa chaussure bien cirée, ses cheveux gominés, la goutte de sueur qui perlait sur son front tandis que le whisky descendait. Il lui rappelait tous les autres prêtres qu’il avait connus. Il y avait aussi l’odeur du bâtiment, la cire et l’encens. Le Sacré-Cœur au mur, Jésus, le regard baissé vers eux, bras écartés, du sang dans chaque paume. Dès qu’il avait sur où ils allaient, ç’avait commencé. La nausée, les mains moites. Il avait tenté de compter à rebours, comme on le lui avait appris. Visualiser une scène paisible dans son esprit. Rien à faire. Lorsque Wattie avait arrêté la voiture devant la chapelle, McCoy avait été tenté de s’en aller, de rattraper Paisley Road West à pieds et d’entrer dans le premier pub qu’il trouverait, de laisser Wattie se débrouiller. Il en avait marre de ressentir ça. Il n’avait pas envie de retourner chez le médecin, il savait pourtant que c’était nécessaire.” Dans les années 1970, Glasgow traverse une période de mutation, augurant d’un avenir incertain. Après des décennies fastes, l’Économie est beaucoup moins florissante, laissant toute une population dans la misère. De nombreuses habitations n’étaient plus que des taudis insalubres. On les a rasées les unes après les autres, afin de tracer des routes et de bâtir des immeubles de type HLM, plus loin vers la banlieue de la ville. Des chantiers en cours qui dénaturent Glasgow, selon ceux qui en sont natifs. D’anciens quartiers ont déjà disparu. Des pubs, qui avaient naguère un certain standing, ne sont plus que des bistrots ordinaires. Des sans-abris squattent les locaux industriels promis à la destruction. Qu’il existe encore une classe sociale fortunée à Glasgow, bien sûr. Ces privilégiés gardent tout leur pouvoir auprès des autorités, aussi discrètement que possible mais avec fermeté. On ne dérange pas les riches familles pour de banals faits-divers, qui ne sauraient impliquer leur milieu. À l’opposé, sévissent quelques gangs mafieux, assez bien organisés pour ne pas trop faire de vagues. Les drogues qui circulent, les maisons closes traditionnelles, les clubs mal fréquentés, ça ne perturbe pas tellement la vie locale. La police a tout à gagner en négociant avec les caïds : “Il faut qu’il y ait des échanges. Si tu veux tirer ton épingle du jeu, il faut qu’il y ait une porte d’entrée, quelqu’un à qui parler, un contact de l’autre côté de la barrière” explique McCoy à son jeune collègue. À Glasgow comme ailleurs, malgré le poids toujours présent de l’Église d’Écosse et de la religion catholique, cette époque est celle d’une libéralisation des mœurs, d’une envie de liberté qui passe par le cannabis ou autres substances, ainsi que par la musique. On aperçoit ici David Bowie, venu faire un show dans cette ville. Bientôt, naîtra le groupe Simple Minds, les frères Mark et David Knopfler y créeront le groupe Dire Straits, et bien d’autres artistes de Glasgow se feront connaître. À trente ans, Harry McCoy est le témoin de toute l’évolution de sa ville. Marqué par diverses épreuves, il y a en lui une large part de rébellion contre la société conformiste, mais aussi un besoin de faire correctement son métier de flic. Quitte à bousculer l’ordre établi. Ce premier roman d’Alan Parks, doté d’une narration limpide et fluide, est franchement enthousiasmant. Dans la noirceur d’une ville sale, McCoy est un de ces héros que la vie n’a pas ménagé – un personnage d’une belle humanité – pour lesquels on éprouve vite de l’empathie. On espère le retrouver dans de futures enquêtes, aussi sombres soient-elles. |