En 1791, la Révolution Française est loin d'être achevée. Le Roi étant toujours à la tête du pays, beaucoup pensent que la future Constitution créera un régime hybride, une royauté parlementaire où aristocrates et clergé auront moins de privilèges, où le peuple sera plus libre. Pourtant, entre le club des Cordeliers soutenant Danton, et celui des Jacobins plus à l'écoute de Robespierre, les espoirs d'une France nouvelle sont fragilisés. Dans son journal "L'Ami du Peuple", Marat prévient que la noblesse royaliste pourrait prendre sa revanche. En s'organisant de l'extérieur du pays, ou même de l'intérieur, car le Duc d'Orléans reste puissant, disposant de réseaux influents. Si La Fayette tient la Garde Nationale, l'agitation ponctuelle manipulée par les uns et les autres peut obliger à rompre l'actuel statu-quo. Victor Brunel de Saulon, chevalier d'Hauteville, est âgé de dix-neuf ans. Originaire de la région de Tonnerre, en Bourgogne, il s'est éloigné de son père, le marquis de Saulon. À Paris, il s'appelle Victor Dauteville. S'il aime le dessin et la peinture, c'est dans la nouvelle Gendarmerie Nationale – qui succède à la Maréchaussée – que le jeune Victor est sous-lieutenant, désormais. Il est proche de La Fayette, son mentor. Ce dernier est obsédé par Marat. Sur le conseil d'Antoine Talon, ancien lieutenant-civil aux fonctions imprécises, La Fayette donne mission à Victor d'arrêter Marat. Sans uniforme, le sous-lieutenant se mêle à la population parisienne. Sympathisant avec l'artisan Duplay, il réalise que le peuple n'est pas insensible aux discours de Danton et de Robespierre, et fait plutôt confiance à Marat. Repéré ou trahi, Victor est malmené par quelques admirateurs de "L'Ami du Peuple". Il n'a guère de temps pour s'occuper d'une série de petits vols commis dans son immeuble. Il finira néanmoins par remarquer la discrète jeune voleuse. De retour sur le terrain, Victor suit la piste du commissaire-élu Charpier, au service du Duc d'Orléans, membre du cercle des Vainqueurs de la Bastille. Nul doute que Stanislas Bourdon, Charpier et leurs amis, loin d'être des héros, ont des méfaits à cacher. À l'occasion d'une mésaventure, Victor retrouve un vieil ami de Tonnerre, le brigadier Vassel, sur qui il peut compter par la suite. Victor réussira à procéder à l'arrestation de Marat, mais il prend conscience de la sincérité de celui-ci et le laisse libre. Une faute que La Fayette ne peut laisser sans sanction. C'est à Puteaux que le brigadier sexagénaire Picot recense un premier cadavre sorti de la Seine, à la tête coupée. Avec son ami chirurgien-barbier Bouvreuil, ils examineront deux autres morts similaires. Des cas qui ne semble guère intéresser le juge de paix Peretat. Le brigadier Picot s'étant trop approché des coupables, il est supprimé. Bouvreuil ne renonce pas, lui. D'autant qu'un des morts est identifié, c'est le mari de Mme de La Chesnaye. De son côté, Victor apprend qu'un de ses contacts, De Gastine, qui l'avait initié aux arcanes du pouvoir, a été assassiné. Un meurtre politique ? En ces temps révolutionnaires, il existe aussi des enjeux financiers. S'agissant de sommes conséquentes, il est plus facile de tuer les créanciers que de rembourser. À trop approcher des sphères haut-placées, Victor et ses amis risquent leur vie, aussi devront-ils fuir puis opérer dans l'ombre… Un polar historique se doit de développer en priorité une intrigue criminelle. Cette période trouble, riche en complots et manipulations, de l'Histoire de France en offre la possibilité. Ce que l'auteur utilise avec une belle habileté. Le pouvoir royal vit ses derniers moments, à moins d'un ultime sursaut. Chez les ténors de la Révolution, la zizanie règne en maître. Sentant venir l'échec, seul Marat comprend que s'annoncent des épisodes sanglants. Le pouvoir central étant faible, bon nombre de ceux qui ont des fonctions officielles vont en abuser, jouer sur plusieurs tableaux pour garder leurs nouveaux privilèges. C'est tout ce contexte, inspiré de la réalité (quelque peu paranoïaque) d'alors sans apparaître trop pesant dans le récit, qui sert de toile de fond à cette aventure. Au cours de ses tribulations, Victor Dauterive va donc croiser certaines personnalités de son temps, de La Fayette à Olympe de Gouges, en passant par les peintres Fragonard et David, entre autres. S'il est bien jeune, ce Victor, c'est assurément que l'auteur a voulu nous présenter un personnage de candide au cœur de cette bouillonnante Révolution. Du naïf participant à un enthousiasme général au jeune homme plus mûr, nous suivons son parcours chaotique, son évolution. Sans négliger les autres protagonistes, dans le camp des "enquêteurs" (le brigadier Picot et son ami Bouvreuil, l'archiviste Duperrier, etc.) ainsi que dans celui des malfaisants. Voilà une très belle manière d'explorer les dessous (romancés, bien sûr) d'une célèbre page de notre passé.
Une autre lecture duL'affaire Des Corps Sans Têtede PAUL MAUGENDRE |
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Une enquête de Victor Dauterive. Parution 30 septembre 2015. 400 pages. 19,00€. Ce qui ne veut pas dire qu'ils étaient sans esprit... Déjà que trouver un cadavre dans la Seine n'est guère réjouissant, en harponner un qui ne possède plus sa tête, il y a de quoi perdre la sienne. L'enquête sur ce meurtre, la découverte de l'identité du cadavre et celui de son coupeur de tête est confiée au brigadier Picot, de la brigade de Nanterre, un sexagénaire averti et pugnace. Bouvreuil, le chirurgien-barbier ami de Picot, procède à l'autopsie. Cette découverte a été effectuée le 21 février 1791, au petit matin. Le même jour, le lecteur surprend une conversation entre deux hommes, dont un dénommé Talon, conversation dont l'objet réside en une demande pour le moins farfelue émanant d'un certain Danton. Celui-ci réclame cent mille livres pour le remboursement de sa charge d'avocat. Le soir même, le sous-lieutenant Victor Dauterive, de la Gendarmerie Nationale, investit une imprimerie assisté d'une quinzaine de gardes nationaux. Il est chargé de procéder à l'arrestation du sieur Marat, le rédacteur belliqueux du journal L'Ami du Peuple, dont les écrits appellent à prendre les armes contre une possible et éventuelle fuite du roi. Mais Marat, comme à son habitude, sentait le vent de la maréchaussée, renommée gendarmerie nationale, venir et justement il n'était pas venu, évitant soigneusement la maréchaussée. Dauterive est le protégé de Lafayette, il n'a que dix-neuf ans et est sous-lieutenant de la Gendarmerie Nationale. Il vient de Bourgogne, après des démêlés avec son père et espère bien se faire une place dans la capitale. Sa mission est donc d'arrêter Marat qui appelle au meurtre des aristocrates, seulement cette mission est contrariée à cause des questions qu'il pose ici et là. Il attire sur lui l'attention du commissaire Charpier, du quartier du Théâtre Français, et de quelques personnages inquiétants. Mais il va être aidé par des personnages du petit peuple qui vont se révéler habiles auxiliaires dans ses démarches. Lafayette lui fait remettre par Talon, lieutenant civil qui lui sert de secrétaire, une bourse de deux milles livres, somme destinée à soudoyer quelques personnages. Mais rentrant chez lui, il croise une jeune femme fort avenante, et ne rend pas compte immédiatement qu'elle vient de lui subtiliser sa bourse (celle qui lui a été remise, je précise). Pourtant il aurait dû se méfier, car des locataires de son immeuble se sont plaints de petits vols, de disparitions bizarres et lui ont demandé d'enquêter. Mais il a tant à faire. Il enquête dans différents clubs et lieux de réunions dans lesquels Danton et consorts haranguent leurs troupes. Au club des Cordeliers par exemple, ou aux Jacobins, et il découvre que tous ces révolutionnaires ne prêchent pas forcément les mêmes idées, et que leurs propos ne s'accordent pas toujours avec leurs actes. De plus il apprend l'existence d'un mystérieux Comité de liquidation des dettes chargé de récupérer et rembourser des créances. Seulement il découvre que trois créanciers, qui devaient récupérer cent cinquante milles livres chacun, ont disparu. Le lecteur, futé fera immédiatement la liaison avec les trois corps retrouvés dans la Seine. Car deux autres cadavres ont été retrouvés et les enquêtes sont confiées au brigadier Picot. Dauterive fait la connaissance d'un archiviste du Châtelet, De Gastine, lui-même en relation avec Bouvreuil. Or Picot est assassiné et Bouillon en est fort marri d'avoir perdu son ami. Par De Gastine, Dauterive est amené à faire la connaissance de Bouvreuil, et il retrouve la trace de sa petite voleuse, une nommée Suzanne. Bouillon, De Gastine et Dauterive vont joindre leurs efforts pour découvrir qui a assassiné Picot et leurs ennuis commencent. Le commissaire Charpier, protecteur de Marat, et deux Volontaires de la Bastille sont à leurs trousses, et les trois hommes sont devenus des lapins pour ces trois chasseurs à l'affût de mauvais coups. Avec ce roman, nous découvrons un nouveau et jeune détective de dix-neuf ans qui fait son apprentissage dans la Gendarmerie Nationale, nouvellement crée en remplacement de la Maréchaussée. Le parcours de Dauterive, un nobliau de province qui s'est échappé du carcan familial, et dont on apprend peu à peu les origines, sera semé d'embûches. Mais s'il s'érige en personnage principal, d'autres protagonistes parcourent le récit. Danton, Marat, Lafayette, et bien d'autres révolutionnaires qui ne s'entendent guère entre eux, à cause de conflits d'intérêts. L'ombre du Comte d'Artois, le frère du roi, flotte sur cette intrigue, tandis que Louis XVI se montre moins falot que ce monarque décrit dans les manuels d'histoire. Et par dessus tous ces personnages réels ou fictifs, s'élève la grâce, le charme, la combattivité, le féminisme d'Olympe de Gouges. C'est surtout pour Jean-Christophe Portes l'occasion de décrire un pan de la Révolution, alors que le comité travaille sur la rédaction de la Constitution, et de montrer que la plupart des Révolutionnaires œuvrent principalement pour leur chapelle et que souvent ils agissent en paranoïaques. L'intrigue se situe entre février et fin juin 1791, et on ne peut éviter d'établir une corrélation entre la situation qui existait alors et celle qui prévaut de nos jours. Ces coquins de financiers ont provoqué la Révolution en endettant le Royaume. Maintenant, ils mènent le pays à sa perte ! s'écria Duperrier, scandalisé. Ah ! quelle belle Révolution !!
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