Âgé de vingt-sept-ans, Simon Beecher Jr est le fils d'un haut responsable du groupe Ryzer, multinationale pharmaceutique. Le jeune Simon a été victime d'un accident de voiture, à pleine vitesse, du côté du Bois de Boulogne. La conductrice, Élise Boisvivier, est morte sur le coup. Simon était son passager, assis à côté d'elle, sur la place du mort. Pris en charge par le service des soins intensifs de l'hôpital Georges-Pompidou, Simon a 3% de chances de survie. Quasiment en charpie, il est dans le coma, bardé de machines assurant un artificiel fonctionnement vital. Henri Conflans, grand chef administratif de l'hôpital, est tout prêt à suivre les consignes du père de Simon. Fournier, N'guyen, Heymar, Leterrier, on ne manque pas de médecins pour s'occuper de ce patient particulier. Les infirmières Arlette Bredin et sa collègue Juliette assurent le bien-être de Simon. Même si Arlette est éreintée, dépassée par ses soucis familiaux. Même si Juliette est lourdement endettée, à cause de sa passion des jeux d'argent. Elles ne comptent pas sur l'autre infirmière Mélissa Hasser, amante du Dr Fournier, sur laquelle Arlette et Juliette s'interrogent. Simon Beecher le père est arrivé à l'hôpital avec son épouse Natalia, la mère du patient. Il faudrait quatre greffes importantes pour sauver le jeune Simon. Les praticiens n'ignorent pas que, dans son état catastrophique, les risques de rejets sont énormes. Pourtant, le père possède une solution miracle. Certes, le protocole IS3 du groupe pharmaceutique Ryzer n'est validé par aucune autorité médico-gouvernementale. Expérimentation à haut risque sur son fils, Beecher père en est conscient. Mais si ça marche, et il faut tout tenter pour ça, il grimpera dans la hiérarchie du groupe Ryzer. Si Henri Conflans et le Dr Heymar n'éprouvent aucun état d'âme, Alexandre Leterrier est plutôt hostile. Et Michel Fournier se préoccupe autant de sa relation avec Mélissa que des vicissitudes du service. Il n'y a probablement que Natalia qui soit inquiète et triste. Arlette aussi, qui veille sur Simon, auquel elle s'attache, un peu. Pendant ce temps, au gré des greffes, à quoi pense donc le patient plongé dans le coma ? À sa vie, qui ressemblerait à une perpétuelle promenade dans un immense centre commercial. Où il serait à la fois perdu, et attiré par tous les rayons. Même s'il se réveille, brièvement, Simon ne peut imaginer la médiatisation dont il est l'objet. Ni les combines d'un père, presque sûr d'atteindre son but... Raconter une histoire, c'est toujours aller d'un point A à un point B. Pourtant, il existe plusieurs façons d'effectuer ce trajet. Les romans linéaires ne s'embarrassent pas de la moindre bifurcation. À l'inverse, les intrigues éclatées empruntent des chemins sinueux, pas forcément bien éclairés. Il y a encore ces récits où l'on fait une partie du parcours à l'envers, grâce à des flash-back explicatifs. Et puis, comme ici, il arrive qu'on avance grâce à kaléidoscope de scènes, un chassé-croisé parfaitement logique entre les différents protagonistes, autour du sujet traité. Cette manière stylistique est très périlleuse. Surtout quand on demande au lecteur de placer lui-même les tirets des dialogues, tout en suivant l'évolution des faits sans en manquer une miette. Ça laisse quelquefois sceptique, il faut le reconnaître. Dans le cas présent, le pari de Mathieu Picard est réussi. Patients ou proches, nous sommes plus soucieux de la santé d'une personne hospitalisée. Pourtant, le personnel soignant a aussi sa vie, ses tracas, ses questions. Quand une greffe s'impose, nous ne pensons guère aux donneurs d'organes. Il s'agit de vrais gens qui ont eu une vie plus ou moins ordinaire, pas juste d'anonymes. Voilà les contextes évoqués par l'auteur. Sans oublier la puissance occulte des groupes pharmaceutiques, bien sûr. On évite ici la démonstration, bien inutile. Quelques scandales ont déjà été révélés, il y en aura d'autres à l'avenir, pires peut-être... En effet, nous sommes dans un roman noir, un de ceux qui nous rappellent les facettes sombres de nos sociétés.
Une autre lecture duLa Foire Aux Organesde PAUL MAUGENDRE |
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Et si je prends tout, on me fait un prix ? Une voiture peut elle être amoureuse d’un arbre ? Nul ne le sait véritablement, tout ce que l’on peut constater, c’est qu’un véhicule arborant fièrement le signe distinctif Auto-école s’est encastré dans un arbre, espèce non déterminée, comme si tous deux voulaient procéder à une liaison contre nature. A l’intérieur la conductrice et un passager forts mal en point, prêts à passer de l’autre côté de la barrière, si ce n’est déjà fait. Rapidement transportés à l’hôpital Georges Pompidou, grâce à la diligence des pompiers qui ont désincarcéré les corps avec leur ouvre-boîte spécial, les médecins du service des soins intensifs ne peuvent que constater le décès de la conductrice. Quant au passager, Simon Beecher Jr, s’il est vivant, c’est bien parce qu’il y met de la bonne volonté. Son cœur joue au courant alternatif et au moins trois organes vitaux sont endommagés : un rein, le foie et le pancréas, sans oublier le poumon droit qui est lacéré. Il n’est pas le candidat idéal au don d’organes. Tout le monde s’affaire auprès de lui, Mélissa, Arlette, Juliette, Michel Fournier, Alexandre Leterrier, Vincent N’guyen, en procédant en priorité aux premières installations du matériel médical, à la transfusion de sang et de plaquettes, ce qui n’est pas forcément synonyme de bonne entente dans les artères qui véhiculent pas de mal de déchets genre cocaïne, gamma-Gt et autres cochonneries. Donc toubibs et infirmières s’occupent du mort vivant tout en pensant aux problèmes afférents à leur vie privée, sociale, financière, familiale. Enfin les parents de Simon Beecher Jr arrivent de Chicago. Maman est en larmes, tandis que Simon Daddy Beecher, responsable dans une importante firme pharmaceutique américaine, tente de circonvenir les toubibs et l’un des responsables du ministère de la santé d’utiliser un nouveau médicament pas encore mis sur le marché mais infaillible selon lui et susceptible d’apporter un réel confort à son fils. Il propose dessous de table, voyages de conférence aux Seychelles et autres douceurs. La recherche de donneurs d’organes est entamée activement, et Simon Daddy Beecher ne s’embarrasse pas de scrupules, mettant sur la touche les médicastres qui ne lui conviennent pas. Et il en faudra plusieurs, de donneurs, de chirurgiens aussi, et du temps, et des relances cardiaques, car Simon Beecher Jr n’a pas l’air de tenir plus que ça à la vie en fin de compte. Comme vous l’aurez compris, Mathieu Picard aborde divers thèmes mais toujours liés à celui de l’univers médical. L’acharnement thérapeutique, sous la pression parentale, même si le père ne professe à l’encontre de son fils qu’un amour filial dilué dans l’arrogance. Et cet acharnement thérapeutique n’est que le prétexte à tester une nouvelle panacée, dont le succès serait synonyme de rentrées financières conséquentes. Donc les laboratoires de recherche sont mis indirectement en cause, mais surtout les visiteurs médicaux qui n’hésitent pas à employer tous les moyens et subterfuges pour imposer leurs produits. Et cette façon de procéder s’étend comme une toile d’araignée, le terrain le plus fertile se trouvant bien évidemment en Afrique. Parallèlement à l’histoire principale se greffent (c’est de circonstance, non ?) les problèmes des soignants, quel que soit leur niveau dans la hiérarchie, problèmes financiers ou amoureux, car en dehors et même pendant les heures de services, ils sont confrontés comme tout un chacun à la dure loi de la réalité. On ne dépose pas ses soucis au vestiaire en enfilant sa blouse blanche ou verte, mais on les colporte en soi, accrochés à l’esprit comme le Pthirus inguinalis. Quant au style, qui est un véritable exercice, il est déroutant et captivant à la fois.
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