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PATRICK BARD |
La FrontièreAux éditions POINT SEUIL |
398Lectures depuisLe mardi 7 Avril 2004
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Une lecture de |
Roman réaliste noir, le livre de Patrick Bard s'appuie sur une série de meutres bien réels qui ont lieu, aujourd'hui encore, dans la ville de Ciutad Juarez, au Mexique. Une ville frontalière qui permet aux entreprises américaines, mais pas seulement américaines, de délocaliser pour permettre à des ouvrières mexicaines d'être exploitées, pour un salaire dix fois moindre qu'aux Etats-Unis, et dans quelles conditions, avec quelle mentalité machiste, dans un pays gangréné par la corruption. "Cette frontière est aussi pourrie qu'une dent cariée, d'un bout à l'autre. De Nogales surnommée Drogales, à Magdalena (...) qu'on a rebaptisé Mafialena (...), et cette porqueria qu'aujourd'hui tout le monde connaît sous le navrant sobriquet de Sida Juarez". Il y a donc là réunie une double barbarie, celle des crimes commis sur des jeunes femmes qui pour arrondir leur fin de semaine se livrent de temps à autre à la prostitution, quand elles ne se décident pas, ou plutôt quand on ne les contraint pas de s'y livrer à plein temps pour les gringos, et celle des entreprises qui les exploitent au mépris de toutes les valeurs, tant humaines qu'écologiques. Il convient de rappeler que l'ARENA, le traité liant les USA, le Canada et le Mexique crée un vaste marché où les marchandises peuvent circuler librement, les marchandises, mais pas les personnes. "C'est pas criminel d'obliger des femmes à présenter chaque mois leurs serviettes hygiéniques usagées pour prouver qu'elles ne sont pas enceintes, sous peine de renvoi? C'est pas criminel d'accoucher d'enfants mort-nés sans cerveau, à cause de la pollution? C'est pas criminel de voir des gamins atteints de saturnisme parce que les maquilas entreposent du plomb à la tonne en plein air à deux pas des laiteries? C'est pas criminel de mourir empoisonnée à la cantine de sa propre entreprise? C'est pas criminel d'être obligée de passer à la casserole dès quatorze ans, quand on a son premier job en usine, parce que sinon le contremaître s'arrange pour que tu sois virée et mise sur liste noire, et alors tu ne retrouves plus de travail !" Je vous épargne la suite, il y en a deux pages. L'extraordinaire qualité de ce roman repose en grande partie sur l'athmosphère que l'auteur a su rendre, et si l'intrigue en elle-même n'a que peu d'importance, ce que le journaliste Toni Zambudio découvrira n'en est pas moins plausible dans un continent où la vente du crack dans les ghettos a permis de financer les contras du Nicaragua, et où au Chili la CIA était hébergée par le plus grand trust yankee de nickel, avec les conséquences politiques que l'on connaît. L'espoir n'est pourtant pas absent de ce roman très noir, et c'est une religieuse Nord-Américaine qui tourne son regard, non pas vers Dieu, "Où était Dieu, tandis qu'on violait, qu'on tuait les femmes de Juarez et leurs progénitures", mais au-delà de l'horizon : "L'avénement de la mondialisation est inélectable? Alors, les luttes, elles aussi, se mondialiseront." A lire absolument, car il est des colères salutaires qui permettent de vivre moins con! |