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JANIS OTSIEMI |
Le Chasseur De LuciolesAux éditions JIGALVisitez leur site |
4875Lectures depuisLe vendredi 24 Fevrier 2012
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Une lecture de |
Dans la capitale gabonaise, il y a des flics consciencieux tels Boukinda et Evame, de la Direction Générale des Recherches. Et d’autres comme Koumba et Owoula, toujours prêts à accepter un bakchich pour fermer les yeux, qui fréquentent assidûment les bordels locaux. Joseph Obiang ne devait pas être un flic tellement honnête non plus, lui qui fut mêlé à la disparition d’armes à feu. On a trouvé son cadavre sur la plage du Tropicana. Boukinda et son collègue enquêtent, tout en sachant qu’ils ont peu de chance d’attraper celui qui a abattu ce Obiang. À Libreville, il y a toutes sortes de bandes, souvent des malfrats d’occasion. C’est le cas de Marco, qui ne gagne guère sa vie en balayant les rues. Quand Bosco lui propose un braquage, avec le garagiste Tom pour complice, Marco hésite car c’est un coup préparé par Sisco. C’est un caïd douteux, que l’on surnomme Lucky Luke, l’homme qui se tire avec le pognon plus vite que son ombre. Et Sisco a été mêlé à de sales affaires, où il y a eu des morts. D’ailleurs, il se garde bien de dire d’où viennent les armes à feu qui serviront au braquage. Marco et ses amis se laissent tenter. Ils peuvent penser qu’ils ont eu raison, car il n’y a pas eu de victimes et le butin se chiffre en millions. L’opération agite quand même les polices de la ville, alors il est préférable qu’ils restent très prudents. Des prostituées ont été martyrisées et tuées dans des chambres miteuses au motel Le Labyrinthe ou au motel La Semence. Même s’il garde un œil sur le spectaculaire braquage, c’est une enquête pour le flic véreux Koumba. Une bonne occasion de faire raquer les responsables de motels, afin de leur éviter des poursuites. De leur côté, Boukinda et Evame font bientôt le lien entre le meurtre de Obiang et le braquage fructueux. Grâce à leur ami journaliste Gaspard Mondjo, aussi bien informé que la police, ils sont sur les traces de Sisco. Au sein de la bande, la tension monte vite entre Sisco et Marco. Ce dernier sait qu’on peut retrouver leur piste à cause des armes utilisées. L’ex-compagnon de la deuxième prostituée assassinée est vaguement suspecté. Mais, dès le troisième cas, Komba et Owoula ont compris que c’était l’œuvre d’un tueur en série. C’est la mobilisation générale dans chaque service de police. Les uns visant la bande du braquage, les autres recherchant activement celui qu’ils ont baptisé “le chasseurs de lucioles”. Mais qui soupçonnerait Georges Paga ?… Ce polar 2012 de Janis Otsiemi est encore plus corsé que les précédents. Croisant plusieurs niveaux d’intrigues, il gagne en densité. Les portraits sont affinés, eux aussi. On différencie par exemple un truand sans règles, et ses complices agissant par besoin financier. Côté flics, même présentation nuancée. Tout cela permet à l’auteur de nous raconter en finesse le contexte criminel gabonais. Et de souligner que Libreville est très cosmopolite, avec des gens venus de divers pays africains. Outre l’aspect purement policier, en témoigne la question du SIDA, c’est un roman comportant une bonne part de chronique sociale. Et puis, il y a toujours ce délicieux langage (partager la bouche d’un autre, c’est être du même avis; le bouya-bouya, ce sont les embrouilles). Ce qui ajoute une belle authenticité à l’histoire, bien sûr. Chaque chapitre est même assorti de proverbes locaux. Merci à Janis Otisemi pour ce beau voyage à Libreville !
Il me semble que, en premier lieu, je dois vous préciser ce qu’est une luciole. Contrairement à ce que vous pourriez penser, la luciole n’est pas un insecte, de son nom latin Lampyridae. Ce n’est pas non plus une chanteuse française, un personnage de manga ou encore le nom du service de transport circulant uniquement de nuit dans l’agglomération nantaise. La luciole est une tuée-tuée, une katangaise, en parler imagé local gabonais. En France, on dirait, si l’on veut faire montre de courtoisie, une respectueuse, une hétaïre, une courtisane, une fille de joie, une belle-de-nuit ou une belle-de-jour, une péripatéticienne, si on emprunte à la langue verte, une gagneuse, une tapineuse, une morue, une greluche, une pétasse, une horizontale, une catin, en un mot une prostituée. Le résultat est le même mais le prix diffère selon les appellations, c’est comme tout, le haut de gamme et le bas de gamme, le produit de marque, le produit distributeur et l’économique. La découverte du corps d’une prostituée dans un motel de Libreville ne pourrait être qu’un incident mais la façon dont elle a été tuée pose de sérieux problèmes au capitaine Koumba et à son adjoint Owoula. La fille a été salement amochée et une bouteille sectionnée enfoncée dans son vagin. C’était, selon les informations recueillies auprès de ses consœurs, une free-lance, c’est-à-dire qu’elle n’avait aucun compte à rendre à un maquereau quelconque. Mais il est difficile de découvrir son identité car toutes se font appeler par des prénoms d’emprunt. Les deux hommes et les policiers affectés à l’enquête n’ont pas le bout d’un commencement de début de fragment d’embryon de petit peu de pas grand-chose de morceau de piste sur les motivations du tueur et par la même d’en définir le profil. D’autant que quelques jours plus tard, un deuxième meurtre est perpétré dans les mêmes conditions, dans un autre motel, puis un troisième. Ils établissent des recoupements et réussissent à mettre en évidence que toutes ces défuntes sont d’origine camerounaise. S’agirait-il d’une vengeance ethnique ? Ils ne sont pas loin d’envisager cette hypothèse. Toutefois cette avalanche de meurtres instille un début de panique, de psychose générale parmi la population locale. Pendant ce temps, suite à la découverte d’un corps masculin sur la plage, la Direction Générale des Recherches est elle aussi confrontée à un autre problème. L’homme faisait partie de l’armée, il était en retraite, mais il trainait derrière lui une casserole, une affaire de vols d’armes dans laquelle il pourrait être impliqué. Un peu plus tard, un fourgon de transport de fonds est braqué, et une grosse somme d’argent est subtilisée. Boukinda et Envame, les enquêteurs, n’ont eux aussi guère de grain à moudre, sauf peut-être lorsque le corps d’un nommé Sisko est retrouvé quelques balles dans le corps, balles provenant d’une des armes volées. Il leur faut mettre quelques indics sur le coup, afin de retrouver les voleurs et surtout le butin. Janis Otsiemi se plonge avec délices dans cette double enquête qui nous renvoie aux bons vieux polars français qui maniaient l’argot avec bonheur, mais également dans certains romans noirs américains écrits par les petits maîtres du genre. Mais il apporte sa touche personnelle en incluant maximes et aphorismes imagés en tête de chapitre ou dans le corps même du récit. Ainsi Si des chèvres lient amitié avec une panthère, tant pis pour elles. Mais Otsiemi ne se contente pas de narrer une histoire. Il montre du doigt des problèmes qui ne sont pas réservés au Gabon, mais à une grande partie des pays africains et que l’on pourrait étendre à l’Europe. Le Sida (Syndrome inventé pour décourager les amoureux) est présent. Autre thème encore plus réaliste qui suinte dans tous les esprits et se trouve à l’origine de bien des homicides : les rivalités ethniques. Le tribalisme doublé du népotisme, du clientélisme et de l’allégeance politique est ici un sport national, tout comme le football l’est au Brésil. Plus qu’une chasse aux sorcières, l’épuration ethnique est légion dans toute l’administration gabonaise. Certains ministères étaient même réputés être la propriété d’une certaine ethnie. Vive la république tribaliste ! Comment voulez-vous qu’un pays qui connait des divisions internes à cause de l’appartenance de certains à des peuplades différentes connaisse la paix intérieure et extérieure ? Et on pourrait étendre ces réflexions à des partis politiques qui placent leurs hommes liges aux postes clés indépendamment de leurs qualités. Sans oublier les dissensions religieuses qui pourrissent les relations entre les hommes.
A Libreville, un homme n’aime pas ces lucioles, qui de mouches à feu sont devenu bouches à foutre… alors, il les tue, comme on tue les coléoptères adultes, en leur arrachant leurs ailes… car à Libreville, comme ailleurs, « aux lieux d’aisance, les excréments disent adieu à l’anus ». Et pendant ce temps-là, Joseph Obiang reçoit une chiée de plombs… « Au décès d’un chien, la chèvre ne porte pas le deuil » et l’ancien flic, trafiquant d’armes, bouffe le sable sur la plage du Tropicana. Mais à Libreville la vie ne se réduit pas aux meurtres atroces de quelques Camerounaises dans des motels miteux ou au mitraillage d’un flicard véreux, elle obéit à la règle universelle de l’embrouillamini. On tue des prostitués, pendant que d’autres attendent que le vih les emporte, on attaque un fourgon pour rafler les millions qu’il transporte, pendant que d’autres s’interrogent sur la mort d’un pourri, on fréquente assidûment les bordels puisque pour certains leurs prestations sont gratuites, on relâche les suspects moyennant une simple enveloppe et les criminels en échange d’un sac de billets. A Libreville, la misère côtoie l’opulence et la combine fait loi… Certes au Gabon il n’y a ni PSG ni OM mais il y a « Le tribalisme doublé du népotisme, du clientélisme et de l’allégeance politique », un sport qui vaut bien le football !
Janis Otsiemi nous entraîne, au fil de sa plume aussi acérée qu’un scalpel, dans les bas-fonds de cette ville cosmopolite que laboure la corruption. Sec et corrosif, il entrecroise les intrigues, et de ce bourbier se dégage une odeur de décomposition qui vous prend à la gorge, une odeur que seul savait faire naître Chester Bomar Himes. |
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