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JANIS OTSIEMI |
La Bouche Qui Mange Ne Parle PasAux éditions JIGALVisitez leur site |
3422Lectures depuisLe jeudi 23 Septembre 2010
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Une lecture de |
Maxime africaine, sentence de Lao-Tseu, aphorisme normand, bon sens populaire, le titre même du roman donne un aperçu du style littéraire de Janis Otsiemi, un style simple et fleuri, empruntant tout aussi bien aux expressions gabonaises qu’à une créativité et une jonglerie lexicales avec les mots et locutions qui lui sont propres. Solo, qui vient de ponctionner les finances de l’état gabonais en passant trois ans à l’ombre même si c’est aux frais du contribuable, sort de prison en sachant pas trop quoi faire. D’autant qu’il ne peut s’acheter le manioc qu’à crédit et loger de même. Aussi lorsque Tito, son cousin et frère, tous deux ayant été élevés par le père de Solo, lui propose un petit boulot, il ne refuse pas, une enveloppe abondamment garnie lui ôtant le moindre scrupule. Et puis c’est Tito qui lui a mis les pieds à l’étrier, l’emmenant dans ses premiers petits braquages ou facilitant ses premiers émois charnels. Donc Solo est chargé de dégoter une voiture et de participer à une affaire dont Tito se charge bien de lui communiquer le moindre détail. Seulement lorsqu’il s’aperçoit qu’il collabore à l’enlèvement d’un enfant, il ne peut plus reculer. Youssef, le compère de Tito, les rétribue largement et puis il ne s’agit que d’un petit Malien, quantité négligeable pour eux Gabonais pure souche vivant à Libreville. Ce qui n’empêche pas Solo de ruminer ses remords, et lorsqu’il apprend par les journaux que le cadavre d’un gamin a été retrouvé énucléé et émasculé, il est complètement démoralisé. Ce n’est pas le premier de la liste, et le colonel Tchicot de la police judiciaire et ses adjoints Koumba et Owoula pensent qu’ils sont confrontés à un crime rituel. Un marabout qui investirait dans des attributs sexuels, afin de contenter un gros ponte local. Alors que Solo remâche ces sombres pensées, un sien ami, Kenzo, lui propose de magouiller dans le blanchiment de faux billets. Un tripatouillage qui convient nettement mieux à Solo, et la victime désignée n’est autre que le directeur d’une banque, promis à un siège de ministre ou tout au moins à un strapontin particulièrement rembourré. Une scène particulièrement réjouissante. Dans ce court roman, 150 pages, trois quatre embrouilles s’entrechoquent, avec pour protagonistes, outre Solo et Tito, quelques petits malfrats aux dents longues et des membres de la police judiciaire qui ne dédaignent pas se mouiller la gorge, c'est-à-dire toucher des pots de vin. Et lorsque les affaires doivent être étouffées, il s’en trouve toujours quelques-unes qui peuvent aliment les journaux, histoire de démontrer que la police est toujours à l’affût, vigilante et efficace. « Un os jeté au peuple pour préparer les élections législatives en perspective. Comme quoi, la politique est l’art de couper le sifflet aux grognons ». Cela se passe au Gabon, mais ce genre de réflexion pourrait tout aussi bien s’appliquer dans d’autres pays, comme la France. Ce n’est qu’un exemple. Un roman blanc-manioc, ou métissé selon le lexique local.
Solo vient de passer trois ans en prison, à cause d’une bagarre mortelle dans un bar. Spécialiste des coups tordus, il tombait pour une affaire banale. Sorti depuis peu, Solo a bientôt besoin d’argent. Parmi la faune de délinquants de Libreville, il peut compter sur son cousin Tito. D’ailleurs, celui-ci lui lâche sans problème une avance sur un prochain coup. Avec le paquet de fric, Solo règle ses dettes et lève une pute. Dérober un véhicule de luxe ne cause aucun souci à Solo, qui sera le chauffeur de l’affaire amenée par Tito. Même s’il n’est que l’exécuteur pour de mystérieux commanditaires, Youssef dirige l’opération. Il s’agit de kidnapper un môme, puis de le livrer à un marabout. Solo désapprouve ce genre d’affaires malsaines : “Trop de choses avaient changé pour lui depuis sa sortie de taule. Les gars n’avaient plus de code d’honneur. Sans coutume et patrie [sans foi, ni loi], ils avaient vendu la honte aux chiens.” Pendant ce temps, Joe et Fred profite d’une nouvelle combine. Il s’agit de faire chanter de riches femmes mariées, piégées par des photos sexuelles. Ginette, leur dernière victime en date, est l’épouse d’un notable. Elle continuera à payer, Joe et Fred n’en doutent pas. Dodo et Jimmy ont un autre bizness, le braquage. Ils s’attaquent à une agence de la Western Union, un casse sans faute. Quant à Solo, il s’acoquine avec son vieil ami Kenzo. Babette, l’amante de Kenzo, profite en ce moment des largesses d’un banquier. Un pigeon qu’il ne sera pas difficile d’attirer avec la promesse de billets miracles, une arnaque classique sans grand risques. En effet, lorsque Solo lui joue la comédie, le banquier est prêt à sortir le pactole. Sauf qu’on lui a déjà fait le coup quelques mois plus tôt ! Les policiers Koumba et Owoula sont un bel exemple de ripoux à la gabonaise. Ces officiers de la PJ trouvent toujours le moyen d’obtenir leur pourcentage, quitte à laisser courir des coupables. Puisque leur supérieur, le colonel Tchicot, leur accorde toute sa confiance, ils auraient tort de ne pas en abuser. L’enquête sur la série de meurtres d’enfants n’avance guère. Selon la rumeur, ces crimes rituels sont attribués à des politicards. Viser l’élite sans preuve, c’est bon pour la population locale, mais ça ne suffit pas à la police. De son côté, Youssef est inquiet à cause de récentes arrestations. En supprimant un complice, il espère qu’on ne l’identifiera pas. Pourtant, d’aveux en dénonciations, les jours des délinquants et criminels de Libreville sont probablement comptés… Après “La vie est un sale boulot”, Janis Otsiemi nous propose une nouvelle exploration fort réussie de la pègre gabonaise. Petites combines, trafics divers, arnaques éprouvées, tout est bon pour traquer le gros coup, dans un pays où l’argent se dépense vite. “Les Gabonais ne sont pas des bâtisseurs… [Ils] ont plutôt la réputation d’être des flambeurs, des canneurs, des coureurs de jupons.” N’envisageant pas de devenir des Ouattara, des gens fortunés, les petits voyous veulent juste glaner du fric qui sera vite claqué. Dans la police, on suit le même raisonnement, semble-t-il. Si Solo est un élément central de l’histoire, c’est tout cet univers qu’on nous présente ici. L’auteur fait preuve d’une belle souplesse narrative, sans doute parce qu’il ne cherche pas à imiter quiconque. Se servant sans en abuser du vocabulaire et des expressions locales, il ajoute une saveur particulière à son récit. Le réel talent de Janis Otsiemi se confirme !
A Libreville tout est recyclage : on récupère les mots, la syntaxe, les vieux journaux, les femmes, les voitures… du papier journal on en fait des billets de banque, des vieilles femmes des mines d’or et des voitures des hauts faits policiers. Quant aux mots, dans les bidonvilles, on les syntaxe aux couleurs de la misère et de la débrouille, pendant que dans les commissariats on les économise puisque l’on en croque. A Libreville tout est corruption : les truands ne sont pas conduits au commissariat, ils sont dépouillés derrière le stade; les femmes chantent leur infidélité pendant que les flics encaissent les cachets; les marabouts émasculent les enfants et les flics passent à la caisse; quant aux voleurs de voitures, ils font la une des journaux, peut-être parce que dans la police chacun a sa voiture. « La Bouche Qui Mange Ne Parle Pas » est le deuxième roman de l’écrivain Janis Otsiemi que publient les éditions Jigal. Et pour ce second opus d’une œuvre qui s’annonce talentueuse, l’auteur remet en scène son duo de flic pour une chronique de la vie quotidienne aussi sordide que désespérée. Comme dans son précédant ouvrage, qui a obtenu le « Prix du Roman Gabonais », il nous entraîne, au travers d’une multitude d’histoires croisées et emmêlées, dans l’univers sans avenirs des laissés-pour-compte qui hantent les bas-fonds d’une ville que l’avenir a déserté ne laissant pour tout souvenir que le gout d’un manioc glauque. Pour tous les amateurs de polars et pour ceux qui souhaiteraient assister à la naissance d’un immense écrivain, « La Bouche Qui Mange Ne Parle Pas » constitue un incontournable. |
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