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MARIE NEUSER |
Je Tue Les Enfants Français Dans Les JardinsAux éditions L'ECAILLER |
4107Lectures depuisLe mardi 20 Decembre 2011
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Une lecture de |
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Lisa est enseignante. Ou plutôt, Lisa essaie d’enseigner l’italien dans un collège marseillais. Dans sa tête, elle voudrait reproduire le schéma idéalisé de son père prof, qu’elle a admiré, père adoré de ses élèves. (C’est comme ça : il y a eu un taux de reproduction sociale effarant dans l’éducation nationale jusqu’à cette décennie où tout a basculé). Mais sa classe de troisième est un cauchemar, un véritable calvaire. Lisa arrive à l’oublier le temps des vacances, elle ne survit dans les intervalles que grâce à l’amour de son homme, tendre libraire amoureux. Les injures, les crachats, les menaces physiques sont monnaie courante. Inutile de seulement essayer de faire de la pédagogie : c’est se heurter à l’impossible. La plupart de ces élèves de troisième sont à la limite de l’analphabétisme. Inutile aussi de chercher de l’aide chez les autres profs ou auprès de l’administration. Ne pas « y arriver », est une faute, une tare, une honte. Un épuisement surtout, qui mine la santé plus surement qu’une maladie chronique. Au point, pour Lisa, de perdre le bébé qu’elle attendait avec bonheur. Un jour, Lisa commet la terrible erreur de laisser son sac dans sa classe pendant l’inter-cours. Bien sur, la porte est forcée, le sac est volé. Avec son contenu : clefs, chéquier avec adresse, papiers personnels. Car ils surveillent tout. Lisa connait le coupable. Malik. Hyper violent, grossier, responsable de multiples bagarres. Malik qui lui en veut pour l’avoir puni de multiples fois, Malik, plus grand qu’elle, à qui elle doit des points de suture pour avoir essayé d’arrêter une bagarre pendant son cours. A partir de cet instant, la vie de Lisa bascule. La séparation qu’elle maintenait tant bien que mal entre sa profession et sa vie lui sauvait la peau. Elle va craquer quand sa porte est taguée, qu’elle est suivie, qu’elle sent son existence menacée, celle de son mari, celle aussi de l’enfant qu’elle porte. Petites sculptures en merde, chiens, connards, racaille… C’est Lisa qui parle de ses élèves, dans sa tête, tout du long, qui les regarde, qui les juge. C’est la haine de Lisa dont le monologue intérieur dégouline au long des cent soixante quatre pages d’un roman bouillonnant de désespoir et d’impuissance. Un ton terrible, des mots, des situations à donner des suées. Marie Neuser, l’auteur, est enseignante, on l’aura deviné. Il se trouve que moi aussi. Cela n’intéresse peut-être pas le lecteur potentiel à la recherche de renseignements sur ce roman. Mais je préfère avouer, voire revendiquer, une totale subjectivité. Ce roman m’a paru si terriblement vrai. Ce sentiment si dévastateur d’impuissance devant certaines situations, cette usure qui mènent au désespoir. Dans le même temps, j’ai reculé devant le ton de cette jeune prof assaillie de rage et de haine. Je ne porte pas de jugement. Je vois bien « je tue les enfants français… » comme un roman thérapeutique, une bouée sans laquelle la prof aurait sombré. Mais cette rage, cet anéantissement par les mots… Est-ce qu’ils ne restent pas des enfants, malgré tout ? Cette interrogation m’a accompagnée tout du long, et le malaise ne m’a pas quittée. Il faudrait faire lire ce roman à tous les inspecteurs de l’éducation nationale, à tous les conseillers pédagogiques, à tous les bons apôtres de ministère qui ratifient d’un trait de plume ferme les cascades de suppressions de postes. A tous les parents, les représentants d’association de parents, à tous les élèves. Ou pleurer dans un coin ? Car on ne peut que comprendre Marie Neuser, et avec elle, se dire qu’on a perdu, déjà, la bataille de l’éducation en France, dans bien des zones. Autant dire qu’on a créé les conditions d’un avenir terrible qui va nous péter à la figure. Ce roman a le mérite de le dire crument.
Lisa Genovesi est une jeune prof d'Italien dans un collège. Si ce fut autrefois une école de filles, l'établissement est désormais assez cradingue. C'est sans enthousiasme que Lisa quitte le matin son compagnon Pierre, libraire flegmatique, pour aller enseigner. Elle est consciente que le métier a changé depuis le temps où son père était professeur dans une école tranquille, au milieu des vignes. On respectait alors le savoir, le rôle éducatif du prof. Dans son collège peuplé d'enseignants résignés, l'ambiance est moins chaleureuse. Avec certaines classes, c'est même assez proche de la jungle. Le CPE (conseiller principal d'éducation) Hervé Sarafian se montre plus sûrement accusateur que solidaire envers les professeurs. Si Lisa ne “maîtrise” pas car inexpérimentée, ce serait donc de sa faute. Les élèves de Troisième 2 sont les plus virulents. Marik et Adrami, les caïds dominants, se savent soutenus par Marel et Noumein. Turbulents, insolents, faibles qualificatifs pour ces cancres qui insultent “pour rigoler”. Une petite prof comme Lisa fait une belle cible à leurs yeux. Ils multiplient les incidents, quasiment en toute impunité. Ce n'est pas Cindy, qui se prostitue à seize ans pour s'acheter “de la marque”, qui sauvera la médiocrité de la classe. Avec une collègue de l'école, Lisa tente vainement de la raisonner sur ses mœurs. Il n'y a que Samira qui mérite encore l'intérêt parmi eux. Si elle est studieuse, c'est avant tout afin d'échapper le plus possible à l'esclavage familial. Lisa fait ce qu'elle peut pour l'aider. Au milieu de ces élèves non civilisés, impossible d'espérer leur apprendre quelque chose. Ces ados ne viennent même pas des cités, puisque c'est un collège de centre-ville. Lisa s'interroge sur sa vocation : “La plongée dans l'enfer de l'humiliation, c'est le châtiment que l'on réserve aux criminels dans les États autoritaires… Qu'ai-je fait, moi, pour qu'on me ligote ainsi et qu'on me jette dans cette boucherie, moi j'ai toujours été honnête et bonne, et pétrie de l'espoir d'une humanité meilleure...” Lors d'une bagarre entre les caïds de la Troisième 2, la jeune femme est légèrement touchée. Un petit repos lui est accordé, qu'on lui reprocherait presque. À son retour, Samira ne figure plus dans l'effectif de cette classe. Ça devrait révolter tout le monde, ça les laisse indifférents. “Tu sais, je n'arrête pas d'avoir envie qu'ils crèvent” confie finalement Lisa à son compagnon Pierre. Après des vacances de Noël en Finlande, loin de la fausse quiétude provençale, Lisa est de retour au collège. Les humiliations quotidiennes reprennent. Quand on lui vole son sac à main, elle ne craint pas de porter plainte. Car, avec son adresse à l'intérieur, c'est à sa sphère privée qu'on voudra s'attaquer désormais. Quand il se produit un sérieux incident en classe, avec un Opinel, ça va précipiter la suite et affermir le caractère de Lisa… Face aux ados provocateurs, pour lesquels les incivilités sont la norme, y compris dans les établissements scolaires, certains ont des réponses toutes prêtes. Étalant leurs certitudes, ils parlent de laxisme, prônent une discipline de fer. Zéro tolérance pour les élèves, leurs parents, et surtout pour les profs. Ces donneurs de leçons, jaloux des vacances dont les enseignants bénéficient, ne tiendraient probablement pas une journée devant les fauves de certaines classes. S'il reste un brin d'angélisme chez quelques personnes, pas si nombreuses, à l'inverse on sait pourtant que la fermeté façon gardes-chiourmes n'est pas une solution satisfaisante. D'autant qu'il suffit d'être “bons en math” pour que même les ardents partisans de l'éducation à la dure soient tolérants avec les fauteurs de troubles. C'est une véritable introspection que présente ici Marie Neuser. Un parcours de jeune prof qui espère résister à la pression ambiante dans un collège difficile. Un peu de nostalgie, en se souvenant du temps où régnait encore un respect de l’École (bien que ces époques soient fort lointaines, à vrai dire). Surtout, une sombre description de la résignation des uns, du manque de solidarité professorale, de réactions parentales erronées, et de l'impossibilité d'améliorer les comportements de ces violents élèves. Ces adolescents ne sont ni des victimes, ni des rebelles. Ni la majorité, il convient de le préciser. La détresse de l'héroïne illustre sans nul doute les réalités vécues par les nouveaux enseignants. Un roman noir édifiant sur une situation actuelle.
réédition de l'Ecailler - 2011. Parution le 11 septembre 2014. 160 pages. 5,30€. L'école de mon enfance.... Bonjour monsieur le professeur... Souvenez-vous, à l'appel dans la cour, les élèves se rangeaient deux par deux et interdiction de parler dans les rangs. Pour s'exprimer en classe, il fallait d'abord lever le doigt. De nos jours la configuration a bien changé. Les collégiens se conduisent comme des électrons libres et l'enseignant a bien du mal à se faire entendre et imposer une certaine discipline. Jeune professeur d'italien, Lisa peine à se faire respecter dans sa classe de troisième. Seule Samira lui offre des petites satisfactions, le plaisir de corriger ses copies, auxquelles elle met invariablement un 20/20, des notes méritées. Samira est arrivée en France elle avait quinze ans, aujourd'hui elle en a dix-huit et a assimilé la langue française en bûchant car elle n'en possédait aucune bribe lors de son entrée à l'école. Samira travaille, quand elle peut, car dans sa famille elle doit s'acquitter des tâches ménagères en esclave moderne. Samira est la seule à ne pas participer au chahut général qui règne dans la classe, mise à l'index par les perturbateurs. Malik, Andrami, Marel, Noumein... Les trublions qui ne se contentent pas d'être les agitateurs patentés, mais se comportent en véritables provocateurs, et même en petits dictateurs en puissance. Par exemple Malik ou Andrami qui font la loi chez eux, n'ayant pas peur de tabasser leurs génitrices. Aussi Lisa se rend à son établissement presque à reculons, angoissée par ce qui l'attend. Pierre, son mari est au calme dans la librairie où il travaille, et s'il sait les vexations, les affronts, les humiliations que Lisa subit, il n'y peut pas grand chose. Ce matin là, lorsqu'elle arrive sur le perron du collège, le CPE attend Lisa de pied ferme. L'agent de service s'est plaint : quelqu'un a uriné dans la poubelle. Lisa n'entend pas se laisser faire et le CPE est obligé de tenter de découvrir le coupable lui-même. Tâche trop ardue et il consigne la classe. Le lendemain Lisa est la risée de Malik and Co via un dessin pornographique. Ses collègues sont à même enseigne. Certaines ont beau afficher un tempérament de dresseurs de monstres, il ne s'agit que d'une façade d'orgueil. D'autres ont passé l'âge d'être importunées, pas comme Lisa. La rançon de la joliesse. Mais les filles ne valent guère mieux que leurs condisciples masculins. Elles affichent avec fierté leur poitrine, se prennent pour des top-modèles et goutent déjà aux jeux des grandes personnes, sans culotte et sans honte, entre deux voitures avec des hommes qui pourraient être leurs pères. L'apprentissage de la vie non décrit dans les manuels scolaires. Et que ne ferait-on pas pour s'acheter des fringues de marque, des gamines devenues femmes-sandwich. Racket, inceste, brutalités, sans oublier les suicides pour se soustraire à des mariages forcés. Elle est pas belle la vie ? Ceci n'est qu'un roman, mais on ne peut s'empêcher de penser que tout n'est pas sorti de l'imagination de l'auteur et qu'elle a vu, connu, entendu la plupart des protagonistes, des incidents, des épisodes décrits dans ce livre. Des anecdotes qu'elle a grappillé ici et là, en leur donnant une forme romanesque. D'ailleurs, la traditionnelle petite mise en garde selon toute ressemblance avec des personnes ou faits réels seraient purement fortuite... n'apparait pas en prolégomènes. Un roman dur, âpre, poignant et qui bouleverse. Le petit monde de l'éducation est malmené dans tous les sens mais ce n'est pas la première fois que ce sujet est traité. J'ai retrouvé cette ambiance sur le thème de la violence entre adolescents et professeurs, peut-être pas de façon aussi paroxystique, qui était déjà abordée et décrite dans Graine de violence (Blackboard Jungle) signé Evan Hunter, plus connu en France sous l'alias d'Ed McBain, un roman adapté au cinéma par Richard Brooks en 1955. Plus proche de nous Corinne Bouchard préfère parler des problèmes éducatifs avec un humour incisif et caustique dans La vie des charançons est assez monotone puis La vie des charançons deviendra poétique.
Quant au titre il renvoie à un fait divers relaté par le Petit Journal du 29 avril 1906.
De Marie Neuser lire également le très beau roman Un petit jouet mécanique paru en 2012 aux éditions de L'Ecailler.
Une chronique à lire également sur Action Suspense de Claude Le Nocher. |
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