Alors qu’elle était élève dans une école française de Saigon, l’aînée des deux sœurs Thanh-Tran se vit exclure de cette école par une religieuse qui manquait singulièrement de perspicacité puisqu’elle écrivit sur le billet de renvoi : « Inutile de persister. Votre fille ne maîtrisera jamais le français. » Aujourd’hui les deux sœurs manient aussi bien le vietnamien que l’anglais ou le français. Un français qui se déguste comme les plats qui nous font saliver tout au long de leurs récits, avec toujours cette pointe d’érotisme suggéré qui pigmente chacun de leurs livres.Celui-ci se passe à Faifo, aujourd’hui Hoi An, qui était au XVIIè siècle le principal port du Vietnam et l’une des fenêtres du continent asiatique sur les autres continents connus. (C’est là qu’un beau jour débarqua un certain Alexandre de Rhodes, juif d’Avignon converti au catholicisme et membre de la compagnie de Jésus qui inventa un alphabet romain pour transcrire le vietnamien, alphabet qui est toujours en vigueur de nos jours). Puis la rivière de Faifo s’enlisa et le port fut supplanté par celui de Danang.Mais c’est assez parlé de la grande Histoire, revenons à celles que nous content les deux sœurs Thanh van et Tran Nhut. Je dois avouer que j’ai une grande faiblesse pour « l’esprit de la renarde », pour le mythe en lui-même, mythe vivace en Chine, au Vietnam et au Japon, dans lequel ce sympathique animal redouté des épouses honnêtes se transforme en succube la nuit pour dérober l’énergie des hommes en s’accouplant avec eux, mais aussi parce que c’est sans doute le roman des deux sœurs qui a su le plus m’émouvoir.Nous retrouvons donc le mandarin Tân, colosse confucéen, flanqué de son inséparable ami Dinh, lettré malingre amateur d’étoffes, de bijoux et de nuits pourpres. De retour du village natal du mandarin (séjour qui nous est conté dans « les ailes d’airain ») les voilà donc en plein territoire des seigneurs Nguyên que le mandarin abhorre, et c’est dans cette ville de Faifo, qui reste aujourd’hui la plus belle ville du Vietnam avec son architecture qui doit autant au Vietnam, à la Chine qu’au Japon, où se côtoyaient à l’époque Malais, Chinois, Japonais, Portugais et Hollandais, c’est dans cette ville donc que le lettré Dinh est accusé d’un meurtre qu’il n’a évidemment pas commis. Ajoutez à cela un cannibale qui ne semble guère priser les mains et les pieds au point de les expédier par colis aux sbires de la ville, et un couple attachant et improbable, dont l’épouse ne semble vivre que la nuit, alors que son époux lui à bien des difficultés à vivre celle qu’il porte en lui, et vous aurez tous les ingrédients d’un bon, d’un excellentissime polar, pétri de tolérance et d’humanité, à mon sens le meilleur de toute la série des aventures du mandarin Tân.
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