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EDUARDO MENDOZA |
La Vérité Sur L'affaire SavoltaAux éditions |
2150Lectures depuisjour de sa mise en ligne
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Une lecture de |
Barcelone 1917… 1919… ville d’immigration, de chômage et de misère… de révoltes, d’indépendance, de luttes… de sociétés secrètes, de bandes armées, de terrorisme… de groupes anarchistes… « Le mestre Roca fut l'un des rares anarchistes que je pus rencontrer avant l'irruption violente de 1919. L'anarchisme était une chose, et les anarchistes une autre, bien différente. Nous vivions plongés dans le premier, mais n'avions pas de contacts avec les seconds. A l'époque, et il en fut de même durant quelques années, j'avais une vision très pittoresque des anarchistes : des hommes qui portaient la barbe, gardaient les sourcils froncés, d'un air grave, avec une large ceinture, un blouson et une casquette, rompus à l'attente muette derrière une barricade de meubles défoncés ou les barreaux d'une cellule de Montjuich, dans les recoins sombres des rues tortueuses, dans des taudis, attendant que sonne leur heure, pour leur bien ou pour leur mal, et que l'aile cartilagineuse d"une chauve-souris gigantesque et froide effleure la ville. Des hommes qui attendaient, tapis dans l'ombre, éclataient soudain de fureur et étaient exécutés à l'aube. » Et du fin fond du continent résonne la révolution bolchevik et les murs de la ville se couvrent du portrait d’un nouveau- venu… venu de la lointaine Russie… L’entreprise Savolta n’entend pas se laisser dicter la loi par la horde de ses ouvriers en guenilles. Elle embauche deux nervis avec pour mission de rosser les meneurs. La grève n’a pas lieu… Savolta peut dormir tranquille et continuer à s’engraisser… à S’engraisser jusqu’à succomber, à la Saint Silvestre, sous les balles…. Mais les balles de qui ? Et la mort de Pajarito de Soto, journaliste anarchiste : est-elle accidentelle ou, comme le prétend ce pauvre fou de Nemisio Cabra Gomez, est-ce un assassinat ? « Y aura-t-il quelqu'un pour m'écouter avec des oreilles qui ne soient pas celles de la froide raison ? Je sais, je sais. Par dignité, j'aurais dû mépriser les flatteries de ceux qui avaient provoqué, directement ou indirectement, la mort de Pajarito de Soto. Mais je ne pouvais pas payer le prix de la dignité. Quand on vit dans une ville démesurée et hostile ; quand on n'a pas d'amis, ni les moyens de s'en faire ; quand on est pauvre et qu'on vit dans la crainte et l'insécurité, qu'on est fatigué de parler avec son ombre ; quand on déjeune et dîne en cinq minutes et en silence, en faisant des houlettes avec la mie de pain, et qu'on quitte le restaurant la dernière bouchée à peine avalée ; quand on souhaite que le dimanche ;s’achève une bonne fois pour que reviennent les jours de travail et les têtes connues ; quand on sourit aux receveurs en les entretenant durant quelques secondes d'un commentaire improvisé, plat et futile, alors on se vend pour un plat de lentilles accommodé d'une demi-heure de conversation. » Ainsi se justifie Javier Miranda, narrateur involontaire… l’ami des uns…l’ami des autres… l’ami de personne… Et il traverse ce véritable puzzle où les dates, les évènements, les dépositions devant un juge américain, les lettres d’un commissaire muté au fin fond des colonies, se mélangent et s’entrechoquent, avant de sembler, sous son impulsion, s’ordonner autour de la « vérité sur l’affaire Savolta »… une vérité… car la vérité… mais qui veut vraiment la découvrir ? |