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JEAN-PATRICK MANCHETTE |
Morgue PleineAux éditions FOLIO POLICIER GALLIMARD |
2875Lectures depuisLe samedi 5 Aout 2006
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Une lecture de |
« Dès le début des années 20, la première vague de la révolution communiste est battue partout. Les 30 ans qui suivent, de fascisme en antifascisme, de stalinisme en hitlérisme, de guerre mondiale en guerre froide, le capital règne. Il règne sans partage. Le prolétariat, étrillé par l’ennemi et sodomisé par ses propres chefs, a cessé de lui disputer le terrain (…). Aux salopiots qui occupent le terrain (…) ne s’opposent plus que des groupes minuscules ou des individus isolés, vaincus provisoirement, parfois patients, parfois amers et désespérés. Dans la littérature américaine, ça donne le polar, ça donne le privé. » JP Manchette, janvier 1978, dans « Chroniques ». Extrait cité sur http://manchette.rayonpolar.com/ (points de vue de Manchette) « Moi, j’avais tué, d’une grenade en pleine figure, un gamin qui lançait des pavés. Le monde est fou. J’aurais dû me tirer chez ma maman, comme j’avais prévu. » C’est ainsi qu’Eugène Tarpon, ex-gendarme, se retrouve à la détection privée. Un détective « minable, bien sûr », c'est-à-dire looser, fauché de surcroît, et alcoolique, naturellement. Se tirer chez maman, s’apprêtait-il, mais l’arrivée d’une certaine Memphis Charles dans son… bureau, l’en empêche. Et le voici embarqué dans une affaire digne de ce nom, et même pire que ça. Un véritable piège à con, à vrai dire. Un piège à Tarpon, qui s’y rue tête baissée, par amour du métier, dira-t-on. Quitte à s’approcher d’un peu trop près des scènes de crime, voire même à en fabriquer de nouvelles. « Griselda est égorgée », annonce Memphis Charles au détective. A partir de cet instant, le mécanisme s’enclenche de façon irrémédiable et sur un tempo qui laisse peu de répit. Les phrases sont aussi concises que les chapitres, et les chapitres que les actions décrites par les phrases. Manchette ne perd pas une seconde et ne s’attarde pas sur des détails inutilement. Ce qui n’empêche donc pas les détails d’affluer – une aubaine pour Tarpon qui en raffole et n’en laisse pas s’échapper un seul. Bien au contraire, il s’y cramponne et son intuition fait le reste. Et dans le milieu du cinéma pornographique, les détails abondent, n’est-ce pas. Un régal pour le privé qui aime jouer avec le feu, notamment lorsqu’il se retrouve avec la flicaille à ses trousses, une suspecte numéro un dans les pattes dont il pressent l’innocence, mais un coupable dont il n’a pas idée. Un joli sac d’embrouilles à démêler, avec du sang plein les mains. Et tant pis pour maman. L’écriture est proche de la pensée. Maladroite à ses heures, hésitante et douteuse, mais honnête. Elle tâtonne avant d’en venir aux mots, et lorsqu’elle n’y parvient pas, elle en vient aux gestes, surtout si c’est une question de vie ou de mort immédiate. Mais l’écriture ne s’éloigne jamais de la pensée, ou plus précisément des sentiments procurés par les instants qui s’enchaînent à une cadence bien trop vive pour laisser le temps à la pensée. Des sentiments qui vont s’entremêler à cause de la panique et gagneront en spontanéité. Là, l’écriture s’aiguise encore et devient tranchante. Elle se dépouille à l’extrême et manque se déstructurer. Mais elle s’accroche, même si ça ne tient qu’à un fil. Même si l’on sent bien que l’écriture transpire abondamment du crâne de l’auteur et que Tarpon, en sueur, à travers son obstination et sa dérision, reste un jouet sensible qu’on agite au-dessus de la fosse aux lions. |
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