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ROGER MARTIN DU GARD |
Vieille FranceAux éditions GALLIMARDVisitez leur site |
427Lectures depuisLe jeudi 21 Aout 2020
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Une lecture de |
Collection Folio N°540. Editions Gallimard. Parution 4 février 1974. 160 pages. Première édition : Gallimard. Parution 1933. Vieille France, Cher pays de mon enfance… Dès potron-minet, Joigneau se lève, s’habille en vitesse puis abandonne sa femme Mélie nonchalamment allongée dans le lit conjugal. C’est qu’il a des responsabilités, Joigneau ! Il est le facteur du village de Maupeyrou et sa journée de travail débute par la réception du courrier à l’arrivée du train en gare, sise en dehors du bourg. En traversant la place, il rencontre Féju, le cantonnier, passe devant la boulangerie tenue par les frères Merlavigne, deux vieux garçons, puis il attend l’arrivée du wagon en compagnie de Flamart, l’homme d’équipe, avec lequel il déjeune de sardines étalées sur un morceau de pain. Et Flamart a un service à lui demander. Le courrier réceptionné, il faut rentrer à la poste, puis apposer au dos le timbre à date du jour (d’où l’expression le cachet de la poste faisant foi), classer les plis, lettres, journaux et autres, avant de partir en tournée. Mais surtout mettre de côté les lettres dont le contenu pourrait être intéressant. Car il est curieux Joigneau, et il aime s’enquérir des petits secrets de ses concitoyens. Il lui arrive aussi d’écouter les ragots, d’être le confident des uns et des autres, de jouer les entremetteurs dans des conflits délicats, de rendre de petits services. Non sans se faire rétribuer d’une façon ou d’une autre, en piécettes, en liquide ou en nature. C’est ainsi que nous le suivons tout au long de sa tournée, en savourant une chronique villageoise, avec pour guide touristique, pour conférencier même, ce préposé à la distribution comme l’on appelait encore les facteurs. On fait la connaissance d’Ennberg, l’instituteur marié et père de famille qui cumule la fonction obligée de secrétaire de mairie, de sa sœur qui elle aussi fait la classe, des punaises de tabernacle, du bistrotier, de la femme de Flamart qui tient un petit établissement et qui est réputée pour recevoir des clients particuliers de temps à autres, du curé et de sa sœur, et de quelques autres villageois. Le vieux débris, officiellement monsieur de Navières, souhaite offrir à un musée ses vieux objets auxquels il attache beaucoup d’importance mais ne sont que des reliques sans valeur. Il lui remet une lettre à poster. Joigneau s’arrange une fois de plus pour récupérer un modeste gain, on n’a rien sans rien. Mais monsieur de Navières est sans le sou, et il rêve à un régime politique comme en Russie. Plus besoin d’argent, l’état pourvoie à tout. Et puis, pour finir en beauté la journée, ou presque, les gendarmes arrivent pour régler une sombre affaire dans laquelle les Pâqueux seraient impliqués. Il est reproché au frère et à la sœur de séquestrer leur père, à moins qu’ils ne l’aient tout simplement transformé en pâture pour les vers.
Une journée dans la vie d’un petit village, tel est le propos de ce roman qui se décline comme des vignettes juxtaposées, le facteur rural servant de trait d’union. Une facétie qui mêle humour et ruralité mais dont le propos est plus profond qu’il y paraît. Lorsqu’il écrivit ce roman, Roger Martin du Gard était au bord de la faillite, ce qui explique peut-être cette diatribe contre l’argent et en même tant le besoin d’en posséder. Comme dans toutes les petites communes de France, les idées politiques sont partagées entre réactionnaires, socialistes, voire communistes, bigotes et ce mélange entraîne parfois des tensions, ou à tout le moins des jalousies et des ressentiments. Et souvent tel est pris qui croyait prendre.
Contraint par ses fonctions d’être secrétaire de mairie, il se tait, honteux de ce qu’il voit, dégouté de ce qu’on lui fait faire ; mais il en souffre. Ennberg a conservé, en dépit de tout, sa foi de jeune militant. Il croit, de toute son âme, à la dignité humaine, à l’égalité théorique des citoyens, au salut final, par le triomphe de la démocratie laïque, à la souveraineté du peuple, au droit qu’a l’homme de penser librement, de se gouverner, de se défendre en luttant sans répit contre un ancien régime toujours prêt à renaître sous le déguisement républicain des partis capitalistes. |