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JEAN-PATRICK MANCHETTE |
Que D'osAux éditions FOLIO POLICIER GALLIMARD |
2446Lectures depuisLe samedi 5 Aout 2006
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Une lecture de |
Memphis Charles ne s’appelait pas Memphis Charles, mais Charlotte. Charlotte Malrakis, et non pas Schultz. En revanche, Eugène n’est pas un pseudo. Ni Tarpon. Le même détective privé qui, après l’affaire Griselda (« Morgue pleine », 1973), se voit ici confier une mission de filature par un pharmacien qui soupçonne l’un de ses employés de taper dans la caisse. Tarpon accepte l’affaire et se retrouve sur les talons du suspect qui le mène jusqu’à un casino où il amasse une véritable fortune en l’espace d’une soirée. Le type est rapidement mis hors de cause et le privé fait son rapport. Affaire classée. Sauf qu’une nouvelle mission attend Tarpon dès le chapitre suivant. Une certaine Marthe Pigot souhaiterait que le détective minable et alcoolique retrouve sa fille, Philippine. Et tant qu’à retrouver la fille, autant se retrouver dans le pétrin jusqu’au cou. L’apparition (et la disparition prématurée) de Marthe Pigot inaugure le second volet de la brève saga Tarpon, qui s’avère vite être un casse-tête chinois, à moins qu’il ne s’agisse précisément d’un jeu d’échec de même origine. Dans « Que d’os », Manchette s’éclate. Il s’éclate car le monde est pourri. Pourri car nul n’est innocent, c’est bien connu. Sauf qu’ici, chacun est précisément coupable. Et dans ces conditions, même certains crimes ne sont pas complètement punis. Il serait même coutume de les commettre si l’on envisage sérieusement de « rester vivant ». Il en va de la survie, mais aussi de la crédibilité des personnages qui peuplent ce roman. « Que d’os » parodie le monde tout en le peignant de la façon la plus fidèle possible. Et tout le monde y passe. Le pequenot comme le président directeur général ; l’inspecteur machin comme le député truc ; le pharmacien comme le bonze ; le gourou comme le truand. « Je vous disais tantôt qu’il est amer de traquer des traîne-latte pendant que des trafiquants siègent à l’assemblée nationale. Ce disant, je semblais appeler de mes vœux quelque grosse affaire qui me permette enfin de faire le Bien sur une grande échelle, à l’instar des pompiers. Et je l’ai eue, ma grosse affaire, et je n’en tire aucune satisfaction. » Ce bouquin frôle l’éloge du désespoir. A moins que Tarpon ne soit tout simplement « perdu », car si Manchette s’applique à retracer le cursus de la plupart de ses personnages, il n’en demeure pas moins flou sur les tenants psychologiques. Et pourtant, des failles se dessinent dans les pages, au détour d’une action, d’une allusion qui n’a l’air de rien, d’un regard ou d’un geste souvent insignifiant. La fragilité de l’ex-gendarme devenu détective privé, alcoolique et vieux garçon, grimpe en relief à chaque instant. Et Charlotte, dans cette histoire ? Elle file, Charlotte. Ou plutôt, elle glisse entre les doigts ensanglantés d’Eugène qui, depuis, on peut le supposer, s’en est retourné chez maman. |