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JEAN-PATRICK MANCHETTE |
Le Petit Bleu De La Côte OuestAux éditions FOLIO POLICIER GALLIMARD |
2397Lectures depuisLe samedi 5 Aout 2006
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Une lecture de |
« Dans sa Mercedes, Georges Gerfaut roulait sur la route nationale 19 (…) à 130 kilomètres/heure. C’est alors que la DS doubla. » C’est alors que Georges Gerfaut, plus loin, conduisit l’occupant de la DS accidentée à l’hôpital, mais qu’il repartit aussitôt, sans donner son identité et en ignorant que le blessé ne passerait pas la nuit. En ignorant que c’était là le début d’un roman de Jean-Patrick Manchette. Georges Gerfaut, cadre commercial, ingénieur, marié, deux gosses, a coutume de passer ses vacances d’été à Saint-Georges-de-Didonne dans des maisons de location ennuyeuses à mourir. Cette année-là, quelques jours après l’accident de la DS, deux hommes vont tenter de noyer Georges Gerfaut au beau milieu d’une foule de baigneurs indifférents. L’homme s’en sort, sonné, il ne comprend pas ce qui vient d’arriver. Mais Gerfaut n’est pas homme a subir sans réfléchir, et il veut comprendre. Sur-le-champ, il abandonne sa petite famille sur la côte et regagne Paris – où les deux tueurs l’attendent. Cet enchaînement d’événements mystérieux conduira le cadre commercial à se réveiller dans un wagon de marchandise, blessé, épuisé, en sang. Puis un wagabond l’éjectera du convoi et l’expédira dans un parc naturel montagneux et couvert de forêts hostiles. Alors, le cadre commercial se verra contraint d’errer à la recherche d’un signe de civilisation, d’une issue provisoire à cette situation déplorable qui le poussera notamment à manger des racines, tandis qu’il boite et dégringole à tout bout de champ dans la boue – tandis qu’il redoute la rencontre avec une bestiole affamée qui le cramponnerait vite fait par les burnes et n’en ferait qu’une bouchée. Mais il s’en sort, recueilli tout d’abord par une bande de bûcherons portuguais, puis par un soigneur qui l’emmène dans sa masure : le Caporal Raguse (une espèce de traqueur anarchiste qui semble avoir une idée assez précise des mots « liberté » et « fraternité »). Gerfaut, le naufragé, y résidera 11 mois durant et disparaît de la circulation. De l’instant de la Mercedes lancée à 130 kilomètres/heure à la masure de Raguse, Gerfaut ne s’est pourtant pas transformé. Simplement, Manchette s’est appliqué à sonder le corps et l’esprit de l’individu capitaliste jusqu’à en débusquer cette nature insoupçonnée, en l’injectant dans les bois et en lui enseignant l’art de la chasse. On songe à l’incroyable aventure de Robinson Crusoé, sauf qu’ici Dieu restera impuissant et surtout invisible, inexistant. C’est une femme qui délivrera le naufragé de son île, puisqu’on est en plein univers Manchettien. On a déjà assisté auparavant à cette plongée dans les entrailles de la nature humaine, dans « O dingos ! ô châteaux ! » et, d’une autre façon, dans « Laissez bronzer les cadavres ». On y reviendra dans « La princesse du sang », son dernier roman, inachevé. C’est un sort que l’auteur sait infliger à ces personnages – Gerfaut, au tout début, étant pourtant le moins disposé de tous à ce genre d’expérience. Cette tendance persistante dans l'œuvre de Manchette est assez fascinante, car elle parvient à opposer de façon à la fois radicale et à la fois poétique les racines profondes de l'être humain et sa condition sociale au crépuscule du XXème siècle. Un sale coup porté à l'homme moderne et à ses pseudo-convictions, qui passe alors du statut de producteur-consommateur à celui de contemplateur : « La lumière du matin était assez belle, pour ceux qui aiment ça. » A noter l’étonnante adaptation du roman au cinéma, par Jacques Deray : « 3 hommes à abattre », 1980 (Manchette n’ayant participé ni à l’écriture du scénario, ni à l’adaptation). Ainsi que la BD de Tardi (aux Humanoïdes associés, 2005), qui porte le titre du roman et le retrace fidèlement dans un tout autre rapport à l’image, par l’inégalable trait de Tardi qui colle ici à la perfection. |
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