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RICHARD MORGIEVE |
Le CherokeeAux éditions JOELLE LOSFELDVisitez leur site |
293Lectures depuisLe jeudi 31 Janvier 2019
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Une lecture de |
Automne 1954 aux États-Unis. Le shérif Nick Corey est en poste dans le désertique comté de Garfield, dans l'Utah. Lors d’une ronde nocturne, il découvre une voiture abandonnée. On ne vient pas s’égarer dans cette contrée par le simple fait du hasard, il le sait bien. Dans le même temps, Nick Corey voit atterrir un avion de chasse Sabre, sans aucune lumière, ni pilote — ce qui apparaît impossible pour ce genre d’appareil. À moins d’imaginer une intervention des Martiens : si beaucoup de ses compatriotes croient à une invasion prochaine des OVNI, pas Nick Corey. L'armée et le FBI sont immédiatement informé de l’atterrissage improbable du chasseur Sabre vide. Des troupes et des moyens conséquents sont déployés sur le périmètre concerné. L’agent du FBI qui va chapeauter l’affaire n’est pas le premier venu : Jack White est un conseiller spécial du Président. Simple shérif, observateur sans pouvoir dans le cas présent, Nick Corey n’a nullement l’intention d’entraver son enquête. Il ne doute pas que, vu la position de Jack White, celui-ci progresse assez rapidement. En effet, le pilote du Sabre est vite identifié, ce qui ne dit pas où il est passé. Le plus inquiétant, c’est que l’appareil transportait cent tonnes de TNT, de quoi commettre un sacré attentat. Peut-être dans le cadre d’un plan d’une plus vaste ampleur. Pour le shérif, ce qui importe, c’est cette voiture abandonnée. Les arômes d’un parfum sont subtils, mais il subsiste des fragrances de ce produit de luxe dans le véhicule. La victime est donc une femme. L’assassin – car Corey est sûr qu’il y a meurtre – n’a pas cherché à masquer les indices. Au contraire, peut-être. Ce qui ramène le shérif à son propre vécu. Avant guerre, un tueur en série supprima ses parents. Pas encore adulte, Nick Corey fit un séjour en prison, accusé de ce crime. À l’époque du conflit mondial, il se comporta brillamment, en véritable héros, non sans séquelles. Mais une telle épreuve ne peut que laisser de profondes traces dans la vie d’un homme tel que lui, exacerber sa sensibilité. Depuis, il croit deviner des signes — comme les interventions de ce fantomatique indien Cherokee, dont il ne comprend pas les messages. Dans son comté, si cet autre indien qu’il a surnommé Stone est bien réel et sans agressivité, il ne l’aidera nullement, ne prononçant jamais un mot. Nick Corey est convaincu que c’est bien l’assassin de ses parents qui est de retour, tant d’années après. Tandis que l’agent du FBI Jack White poursuit ses investigations, non sans risques, Nick Corey se met sur les pas de celui qu’il a surnommé Le Dindon. Toutefois, le tueur en série – par jeu ou par défi – garde en permanence plusieurs jours d’avance sur lui… (Extrait) “Il s’est souvenu d’une autre forêt, du Cherokee aux pommettes barrées de deux traits de peinture blanche, qui lui était apparu la nuit où ses parents avait été assassinés. Bien sûr qu’il avait pensé que ce gars pouvait être fin soûl ! Ou fou, fou et soûl, défoncé. Mais il ne pouvait s’interdire d’imaginer qu’il était venu le prévenir. Et il avait remis ça. Oui, il avait remis ça. Il était revenu le voir quand il était dans le coaltar à Guadalcanal, sur une civière avec une blessure à la tête, au ventre, avec une jambe brisée… Le Cherokee lui avait parlé et Corey n’avait rien compris, rien de rien. Après cinq opérations, Corey s’était mis à voir de temps en temps en noir et blanc. On lui avait dit que c’était impossible et il n’avait pas insisté. C’était impossible d’être accusé du meurtre de ceux qu’on aimait. Impossible de voir simultanément un Sabre atterrir sans pilote et un puma blanc. Corey avait connecté les deux histoires, celle du Cherokee au visage peint en blanc et celle du puma blanc. C’était interdit par le code de l’enquêteur : tant pis. Il les avaient connectées parce que c’était la même satanée histoire en vérité. La même histoire parce que c’était lui, Nick Corey, qui les vivait, lui le trait d’union.” Comment ne pas se montrer enthousiaste ? Il s’agit d’un roman policier d’excellence, comme seuls les meilleurs auteurs savent en écrire. Une histoire fluide qui ne cherche pas à embrouiller les lecteurs par des détours fallacieux. Pour autant, le scénario ne manque pas de péripéties, évoluant sur un rythme impeccable – qui n’a nul besoin d’ajouter des effets spectaculaires ou inutilement violents, une tension artificielle, des mystères s’imbriquant les uns dans les autres. Trois lignes narratives : l’énigme de l’avion de chasse Sabre, celle de la disparue au parfum français, et le meurtre jamais résolu des parents de Nick Corey. C’est bien ainsi que le fait Richard Morgiève qu’on raconte un tel roman, peaufinant le personnage central et son univers au fil des événements. Le nom du héros l’indique : c’est un homonyme du shérif de Pottsville, bourgade de 1280 habitants, le shérif (faussement débonnaire) créé par Jim Thompson. Richard Morgiève connaît fort bien ses classiques : ce roman est également – ou avant tout – un hommage d’une belle intelligence aux intrigues d’autrefois, à leur contexte, écrit dans une tonalité actuelle personnelle. Même la présentation des femmes n’est ici pas éloignée de celle de l’époque, avec sa part de clichés. Il n’oublie pas que si perdure le mythe américain, les États-Unis d’alors n’ont pas que de bons côtés (soucoupes volantes ou communisme, c’est un peu la même menace d’invasion : parfait pour favoriser le maccarthysme). Ce n’est pas un hasard non plus s’il situe l’action dans un État désertique peuplé quasi-intégralement de Blancs. L’Amérique des grands espaces ne serait-elle qu’un grand vide ? Ce remarquable roman est, à l’inverse, riche de qualité supérieure. |
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